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Combien d’armes en France ?
Les armes de greniers témoins dormants d’un passé révolu
lundi 5 mai 2025, par

Combien d’armes sont présentes sur le territoire national ? Voilà une question récurrente qui ressort régulièrement dans la presse.
- Bien que l’antique fusil de chasse du grand-père figure dans les statistiques de détention d’armes, il est quasi absent des dossiers criminels. Ce type d’arme illustre le fossé entre la possession légale et l’usage délictueux.
Les chiffres cités par les journalistes de la presse écrite et télévisuelle proviennent de sources parfaitement identifiées. Il s’agit d’abord des chiffres du ministère de l’Intérieur qui s’adossent sur les relevés d’Agrippa, revus à la baisse depuis l’accès des particuliers au SIA. Ces chiffres comptabilisent les armes des chasseurs et des tireurs et ne prennent pas en compte les armes de chasse à un coup par canon, acquises avant 2011, ni les armes de collection. Ils ne comptabilisent pas non plus bien sûr les armes non déclarées qui existent encore en grand nombre dans le pays.
- Cette photo emblématique d’un soldat américain en 1944 illustre les trophées de guerre recueillis par les troupes alliées au fil des campagnes. Nombre de ces armes sont ensuite restées oubliées dans des greniers.
L’autre source souvent citée par la presse est Small Arms Survey, une organisation basée en Suisse associée à l’Institut supérieur d’études internationales et de développement (IHEID). Son activité principale consiste à recueillir et analyser des données sur les armes portatives légères et de restituer ses analyses sur tous les aspects des armes légères et de la violence armée aux gouvernements, aux décideurs politiques, aux chercheurs et à la société civile. Son activité concerne la plupart des régions du globe.
- En avril 1942 une ordonnance de l’occupant a enjoint la population à déposer les armes dans les mairies.
Concernant la France, Small Arms Survey estime que le pays compte 12 700 000 armes à feu portatives. Soit 4 501235 armes déclarées et 8 230 765 armes non déclarées. Des chiffres non argumentés et sans doute un peu fantaisistes. Il semble peu probable d’obtenir une telle précision sur le chiffre de 8 230 765 pour des armes qui ne sont pas tracées ?
L’UFA s’est bien sûr penchée sur cette question avec une approche plus large prenant en compte les évènements historiques et militaires qui ont laissé derrière eux des armes dans notre pays.
Une petite équipe [1] s’est intéressée aux armes militaires, de mon côté, je me suis penché sur les armes civiles.
Pour évaluer le nombre d’armes laissées sur le terrain au XXème siècle, notre équipe s’est intéressée aux pertes d’armes légères sur le front ouest, pendant les deux grands conflits mondiaux.
Première Guerre mondiale : combien d’armes légères ont disparu sur le front ouest ?
La nature de ce conflit, où l’artillerie et les armes légères sont l’essentiel de ce dont disposent les belligérants, nous simplifie grandement l’estimation des armes perdues.
Selon le ministère des Armées français, les pertes de fusils se chiffrent à 40 000 pièces par mois en moyenne sur les 50 mois du conflit, soit 2 millions. Une règle de trois avec les forces du Commonwealth (1 soldat engagé pour 1.3 Français) nous laisse penser que 1,5 millions de SMLE britanniques pourraient avoir été perdus soit 3,5 millions pour les forces alliées, principalement en France et en Belgique.
- Les armes déposées par les français en 1942 ont été stockés dans les mairies ou commissariat et rarement restituées après-guerre.
En estimant que les forces allemandes en ont perdu autant, on arrive donc à 7 millions de fusils perdus sur le territoire français pendant la Première Guerre mondiale.
Seconde Guerre mondiale : l’empreinte matérielle des combats à l’ouest
L’historien Grigori F. Krivosheev a publié plusieurs ouvrages de référence sur la Seconde Guerre mondiale. Il nous donne de précieux ratios des pertes en équipements lors des opérations militaires typiques du conflit. Selon lui, environ 150 armes légères sont perdues pour chaque char détruit. Ce ratio de 1 à 150 entre chars et armes légères se retrouve aussi dans les chiffres de Christer Bergström sur l’opération Market Garden aux Pays-Bas et la bataille des Ardennes en Belgique.
L’avantage de ce ratio est qu’il est plus facile de compter les carcasses de chars perdus, qui généralement restent sur place après le conflit, par rapport aux armes légères.
Entre 1944 et 1945 sur le front ouest, les Anglais ont perdu 2 000 chars, les Américains 11 000, les Allemands environ 6 000 et les Italiens 3 500.
Pendant la campagne de France (1940), 2 500 chars ont été perdus par les belligérants [2].
On peut donc évaluer le nombre de chars perdus sur le front ouest à 25 000, ce qui nous permet d’estimer les armes légères perdues à 3,75 millions, auxquelles il conviendrait de rajouter les armes dites de « parachutage », dont l’essentiel n’a jamais été retrouvé, qui se chiffrent à 420 000 rien que pour la France [3].
C’est ainsi que l’on peut estimer que les belligérants ont perdu, sur le front ouest, pendant les deux grands conflits mondiaux, environ dix millions d’armes légères.
- Jusqu’en 1939, l’achat et la détention d’armes étaient libres. Il est donc impossible d’évaluer précisément le nombre d’armes de défense ou de sport en circulation à l’époque
Les armes civiles de la Belle Époque à la veille de la guerre
- Ce chasseur du début du XXe siècle a transmis son fusil à ses descendants. Cette tradition perpétuée de génération en génération, les familles se sont retrouvées, au fil du temps, avec un grand nombre de fusils..
On l’oublie souvent, mais le tir était un sport très populaire au début du XXème siècle. L’Union nationale des sociétés de tir de France comptait alors 500 000 tireurs qui pratiquaient généralement plusieurs disciplines avec comme corolaire la possession pour chacun de plusieurs armes à feu.
L’achat et la détention des armes était libre jusqu’en 1939 et le nombre des armes de défense circulant à l’époque est impossible à évaluer, des millions sans doute dans un pays qui comptait 40 000 000 d’habitants dans les années 1920.
Le dernier élément à prendre en compte est le développement de la chasse depuis le début de la troisième République, à une époque où chaque chasseur avait au moins un fusil en propre. Soit depuis, six générations de chasseurs, en des temps où chaque génération comptait entre 2 et 3 000 000 de chasseurs.
Ces chiffres sont confirmés par les rapports concernant les armes de chasse confisquées par l’occupant dans les années 40. A cette époque, le Président des chasseurs estimait le nombre de fusils de chasse en France à 125 000 par région [4], soit un total de 3 375 000 fusils sur l’ensemble du territoire national puisqu’à l’époque la France comptait 27 régions.
Une circulation massive d’armes : état des lieux actuel
Les chiffres les plus récents connus du ministère de l’intérieur donnent environ
4 000 000 d’armes déclarées au SIA lorsqu’il sera complètement déployé, auxquelles il faut ajouter environ 1 500 000 de fusils de chasse acquis avant 2011 et qu’il n’est pas nécessaire de déclarer. Enfin, le ministère estime à 3 000 000 le nombre d’armes illégalement détenues et non déclarées à la suite d’héritage en particulier.
L’UFA estime que ces chiffres sont sous-estimés. Ils ne prennent pas en compte les armes de tir et de défense acquises librement avant 1939, ni les armes de guerre abandonnées sur le territoire national.
Le chiffre initial de 10 millions d’armes de guerre doit clairement être relativisé : une grande partie a probablement été enfouie sur les champs de bataille ou détruite au fil du temps.
Quant aux armes de chasse là encore les armes de grenier sont bien plus nombreuses que les évaluations données par le ministère. Il suffit de s’appuyer sur le chiffre de 3 375 000 fusils de chasse présents en France en 1940-45 pour se rendre compte que de 1945 à 2011(armes non déclarées) le chiffre n’a pu qu’exploser puisqu’il a fallu armer plus de 2 générations de chasseurs supplémentaires.
Notre estimation avoisine donc les 10 000 000 d’armes. Soit 4 000 000 d’armes déclarées et 6 000 000 d’armes, dont la moitié détenues légalement (fusils de chasse avant 2011) et pour le reste environ 3 000 000 d’armes non tracées et détenues illégalement (reliquat des deux guerres mondiales et armes acquises légalement avant 1939).
- Ce FM Bren MK 1 (1930) a été remis par des particuliers, lors de l’opération "Armodrome". C’est miraculeusement préservé qu’il sera remis à un musée..
Celui-ci a été sauvé, certes, mais combien d’autres attendent encore, enfouis dans des granges, leur place dans des collections dignes de ce nom ?
Reste enfin les armes importées illégalement pour alimenter la délinquance armée. Il s’agit là essentiellement d’armes modernes qui échappent à tout contrôle.
Le ministère de l’Intérieur estime qu’il s’agit de quelques dizaines de milliers d’armes et c’est sans doute proche de la réalité.
Ce sont bien sûr les plus problématiques puisque ce sont elles qui sont à l’origine des faits divers qui alimentent la presse quotidienne.
- En ouvrant l’accès des collectionneurs aux catégories A ou B via une carte de collectionneur – un dispositif déjà en place dans plusieurs pays européens – ces armes passeraient de l’ombre à la lumière. Ainsi, les collectionneurs pourraient jouer un rôle clé dans la récupération des armes circulant encore illégalement.
Ce sont aussi celles qui devraient concentrer toutes les attentions pour en contrôler la circulation en Europe et la récupération dans les cités.
L’État s’inquiète bien sûr de toutes les armes non déclarées qui échappent à son contrôle. Mais en restant factuel et sans esprit de polémique il faut bien reconnaître que la méthode choisie n’est pas la bonne. Les opérations d’abandon d’armes à l’État sont une goutte d’eau dans un océan d’armes cachées ou tout bêtement oubliées.
Pour une régularisation simple et contrôlée
L’UFA a proposé plusieurs pistes pour améliorer la gestion de ces armes.
La première consisterait à lancer des campagnes d’information incitant les détenteurs à se tourner vers les armuriers. Cette approche simple permettrait de réintégrer les armes dans un circuit légal et contrôlé, tout en offrant aux propriétaires un éventuel gain financier. Par ailleurs, cela déchargerait le SCAE d’un dossier particulièrement chronophage.
Une autre solution envisagée serait d’élargir la carte de collectionneur aux armes des catégories A et B, comme cela se pratique déjà dans de nombreux pays européens. Cela permettrait de faire sortir ces armes de la clandestinité, en les rendant légales, traçables et soumises aux mêmes règles de suivi que les armes de chasse ou de tir sportif.
Bibliothèque : - Notre rubrique : Statistiques sur les armes à feu ; - 2019 : L’ATLAS DES ARMES : Une cartographie des flux illicites d’armes légères en Afrique ; - 2018 : Les civils les plus armés au monde ; |
- 2020 : INSEE : Homicides commis en France entre 2016 et 2020 ; - 2013 : Statistiques des propriétaires d’armes à feu aux USA 2013 ; - 2008 : Contrôle des armes : mythe & imposture ! ; - 2019 ; Les Explosifs enfouis ou immergés. |