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Nouvelles atteintes au droit de propriété des armes

Décisions des hautes instances juridictionnelles

samedi 21 janvier 2023, par Yves De Coninck, ancien avocat.

Le 23 novembre 2022, les deux plus importantes juridictions françaises ont confirmé les possibilités de porter atteinte au droit de propriété en matière de législation sur les armes. Le 21 décembre 2022, c’était au Tribunal de l’Union Européenne de justifier les limitations au droit d’utilisation de munitions au plomb, le tout en moins d’un mois… et ce en fin d’année 2022…

A tort ou à raison, nous pensions que le droit de propriété était une sacro-sainte liberté juridique, en France et en Europe, avec notamment l’énoncé de l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sur ce droit imprescriptible ainsi que de l’article 1er du protocole additionnel de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Malgré ces importantes références, à moins d’un mois d’intervalle, le Conseil d’État (I), la Cour de Cassation (II) et le Tribunal de l’Union Européenne (III) viennent de confirmer, le 23 novembre 2022 et le 21 décembre 2022, les possibilités d’atteinte au droit de propriété des armes/munitions pour cause d’utilité/nécessité publique et/ou d’ordre public/intérêt général que le Conseil Constitutionnel avait déjà affirmées, il y a plus d’une décennie, dans sa décision n° 2011-209 QPC du 17 janvier 2012 qui rappelait, toutefois, l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui parle d’une juste et préalable indemnité. Quant à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il parle également de juste indemnité pour la perte.

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I – Le Conseil d’État rejette le recours contre le décret n°2021-1403 refusant notamment le droit de propriété

Parmi les moyens d’illégalité soulevés par certains requérants (mais pas l’UFA), figuraient lesdits textes, français et européens, protecteurs du droit de propriété qui ont été écartés par la plus haute juridiction administrative française. Cette dernière a quand même pris le soin d’argumenter sa décision ce qui laisse autant de portes ouvertes au droit de propriété des armes le jour où les conditions, inscrites dans l’extrait de l’arrêt ci-dessous, n’étaient pas réunies :

(…) le décret attaqué prévoit que les personnes qui bénéficiaient, avant son entrée en vigueur, de l’autorisation dérogatoire, prévue par le II de l’article 33 du décret du 29 juin 2018, de continuer à détenir des armes à feu à répétition automatique transformées en armes à feu à répétition semi-automatique doivent, dans le délai d’un an à compter du 1er novembre 2021, se dessaisir de ces armes selon les modalités prévues par l’article R. 312-74 du code de la sécurité intérieure ou les faire neutraliser. D’une part, ces modalités de dessaisissement n’impliquant pas nécessairement la destruction des armes en cause ou leur remise à l’État mais permettant également de les céder à un armurier et, d’autre part, les détenteurs d’armes neutralisées pouvant légalement continuer à les détenir, le décret attaqué apporte aux conditions d’exercice du droit de propriété des limitations, justifiées par l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, qui n’apparaissent pas disproportionnées aux buts poursuivis (…).

Bien que ces conditions ne soient pas réunies dans l’autre affaire, jugée ce même 23 novembre 2022, les deux critères jurisprudentiels du Conseil d’État (non-destruction des armes et possibilité de neutralisation) ne pouvaient pas être connus de l’autre décision car elle a été prise le même jour par l’autre haute juridiction française dans un sens beaucoup plus sévère… faisant primer la dangerosité (qui n’existait plus car les armes étaient saisies) sur le sacro-saint droit de propriété…
Rejet du recours de l’UFA.

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II – La Cour de Cassation rejette le pourvoi N° 22-80.950 refusant également le droit de propriété

Alors que nous aurions pu penser que la plus haute juridiction judiciaire française soit davantage sensible à la question du droit de la propriété privée que la juridiction administrative, l’arrêt de la Cour de Cassation, sans grande motivation, juge :

« inopérant le grief qui, dans le cadre d’un contentieux relatif à la destruction d’armes dangereuses détenues illégalement, invoquait une atteinte disproportionnée au droit de propriété »,

alors que les armes avaient été saisies et ne présentaient donc plus de danger au sens de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 311-2 du Code de la Sécurité Intérieurepourtant visé en l’espèce, disposition qui affirme que : « Pour les armes à feu, la dangerosité s’apprécie en particulier en fonction des modalités de répétition du tir ainsi que du nombre de coups tirés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un réapprovisionnement de l’arme ».

En effet, en moins d’un an et en formation restreinte, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a rejeté l’argumentation du prévenu qui s’opposait à la destruction des armes saisies et en demandait également la restitution soulignant qu’il avait hérité ces fusils de son père, qu’il ne s’en servait pas, mais que ces armes avaient pour lui une valeur sentimentale. Avant de décider de la destruction privant définitivement l’intéressé de ses droits, le Procureur de la République, la Chambre d’instruction de la Cour d’appel et la Chambre criminelle de la Cour de cassation auraient pu examiner davantage la décision de destruction au regard du principe de proportionnalité. Le critère légal de dangerosité d’un bien ne peut suffire à lui seul à en justifier la destruction sans examen sérieux de l’opportunité de préserver les droits du propriétaire sur ces biens. En se fondant notamment sur la dangerosité des fusils et leur détention illégale alors que ces armes étaient saisies et que le prévenu s’engageait à régulariser la situation en les déclarant officiellement, sans réellement se prononcer au regard du principe de proportionnalité, les autorités judiciaires ont violé les textes les plus protecteurs du droit à la propriété d’autant plus que la juste et préalable indemnité pour perte n’a pas davantage fait l’objet d’un examen…

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III – Le tribunal de l’Union Européenne rejette le recours de Firearms United Network sur les munitions en plomb

Le 21 décembre 2022, le Tribunal de l’Union Européenne (cinquième chambre) rejette le recours, dans l’affaire [1] contre le règlement (UE) 2021/57 de la Commission du 25 janvier 2021 concernant le plomb dans la grenaille de chasse utilisée à l’intérieur ou autour de zones humides (voir lien) en motivant largement son arrêt (points 121 à 124) :

121. - À titre liminaire, il convient de rappeler que, si les droits et libertés garantis par la Charte peuvent être limités, toute limitation de leur exercice doit être, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. En outre, ainsi qu’il ressort de cette disposition, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

122. - S’agissant plus particulièrement du principe de proportionnalité, selon une jurisprudence constante, ce principe, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause. Lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante. Les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés.

123. - En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions mentionnées au point précédent, il y a lieu de reconnaître à la Commission un large pouvoir d’appréciation dans un domaine qui implique de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lequel elle est appelée à effectuer des appréciations complexes. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que le législateur entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure.

124. - En premier lieu, il convient de constater, à cet égard, qu’il ressort des considérants 5, 6, 10 et 16 du règlement attaqué que ce dernier a été adopté en vue d’éviter les risques pour l’environnement et pour la santé humaine liés à l’utilisation de plomb dans la grenaille dans les zones humides (…).

Le 3 décembre 2019, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait déjà pu statuer, en Grande chambre, en rejetant le recours de la République tchèque contre la directive européenne modificative du 17 mai 2017 relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes, l’avocat général de cette Cour européenne soutenant même, dans son avis publié le 11 avril 2019, qu’il n’y a « pas de droit fondamental dans le Droit de l’Union de posséder des armes à feu » ...


En conclusion PROVISOIRE, nous avons déjà vu que la Chambre sociale de la Cour de Cassation était plus favorable que la Chambre criminelle. Ne pouvons-nous pas nous interroger sur le fait que le Conseil d’État semble également plus ouvert que la Chambre criminelle de la Cour de Cassation voire que la Cour et le Tribunal de l’Union européenne, le tout en attendant que l’une des chambres civiles voire la chambre commerciale de la Cour de cassation ou la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) soit saisie d’un tel droit de propriété des armes et de liberté des munitions ? A suivre..


Consulter la rubrique : Conseil constitutionnel, Cour de Cassation et Conseil d’État.

Rel. L-20/01/23

 

[1Firearms United Network contre la commission Européenne l’ordonnance - l’arrêt et la requête

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