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Article paru dans la Gazette des armes n° 521 de juillet 2019

Pognon et neutralisation

Neutraliser, cela rapporte à qui ?

mercredi 28 juin 2023, par Jean-Jacques BUIGNE fondateur de l’UFA (publié initialement le 15 août 2019)

Quand on lui parle neutralisation, le collectionneur se met en colère : non seulement la neutralisation transforme désormais l’arme en « immonde morceau de ferraille » lui faisant perdre tout intérêt pédagogique et historique, mais le prix qu’il doit payer pour ce désastre est au-dessus de ses moyens. Alors va-t-il s’abstenir ?

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Les barillets des revolvers ne tournent plus, les chiens sont bloqués
et rien n’est démontable de la plaque de recouvrement aux plaquettes.

Tout a commencé avec l’Europe à l’initiative de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur [1], prise fin 2015, à la suite des attentats terroristes. On a voulu nous faire croire qu’ils avaient été commis avec des armes neutralisées remises en état. Alors qu’au Bataclan, il s’agissait d’armes issues de trafics et à l’Hyper Cacher d’armes transformées à blanc, beaucoup plus faciles à remettre en état qu’une arme neutralisée.
Alors, la consigne a été donnée aux fonctionnaires français en poste à la Commission européenne, de travailler à l’unification des modes de neutralisation des armes à feu dans tous les États de l’UE. Ceci, bien que les armes neutralisées n’aient pas été impliquées dans ce terrible drame. Faut-il y voir le signe d’une totale incompétence qui a conduit les responsables à confondre « armes à blanc » et « armes neutralisées » ? A moins que l’on ait sauté sur le prétexte pour avoir la peau des armes neutralisées et embêter les collectionneurs ?
Comme si cela ne suffisait pas, la Commission impose maintenant que les armes neutralisées soient soumises à déclaration avec production d’un certificat médical. C’est vraiment le comble du ridicule pour des armes qui n’en sont plus. La commission en a profité pour aggraver la neutralisation en imposant des mutilations internes, d’ailleurs impossibles à vérifier puisque les armessont devenues indémontables et n’ont plus aucun fonctionnement mécanique. Ainsi, on a abouti à des pièces de métal ayant la silhouette d’une arme mais ne présentant plus aucun intérêt pédagogique pour qui souhaiterait en étudier le fonctionnement. Même si elles ressemblent encore extérieurement à des armes, ces ferrailles inertes sont en fait devenues de simples presse-papiers.

Un prix inaccessible

Une des conséquences les plus importantes de ces opérations techniques est l’augmentation du coût de la neutralisation, désormais devenu prohibitif. Ainsi le prix de la neutralisation des armes légères est passé de 50 € en 2006 à près de 200 € en 2019 et 223 € en 2023. Il en est de même pour le coût de la neutralisation des canons de char dont le prix est passé d’environ 200 € en 2006 à près de 1700 € en 2023.

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En 2023, le prix est de 223 € pour les armes légère, plus les frais de port. Le problème s’amplifie.

En France, la neutralisation reste le monopole du Banc d’épreuve de St-Etienne. Cette neutralisation est obligatoire lorsque l’arme déjà neutralisée antérieurement au 8 avril 2016 change de main, soit par la vente, la donation ou lors d’une succession. Le collectionneur est de fait l’otage de cette situation. Il n’a pas d’autre choix que de se soumettre.

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Voilà l’exemple de poinçons sur un PA déjà neutralisé aux normes françaises et qui a été neutralisé de nouveau en 2018. Dans l’ordre, il y a 18 pour l’année, la couronne et le poinçon EU qui est commun à tous les États et FR pour situer l’État qui a pratiqué la neutralisation. Puis à droite le célèbre AN couronné suivi du code AF qui correspond à l’année 2012.

Provoque le marché noir

Mais devant un tel désastre financier et matériel, beaucoup choisissent le « marché noir » et s’échangent les armes de la main à la main. Comme cela, pas de facture à payer, pas d’enregistrement à la préfecture et pas de certificat médical à produire.
Cette situation est totalement contre-productive. Jusqu’alors, lorsqu’un grand père voulait se débarrasser du pistolet automatique 6,35 conservé dans sa table de nuit depuis plus de 70 ans, il l’apportait chez l’armurier. Ce dernier lui en donnait quelques dizaines d’euros et revendait l’arme à des collectionneurs après que le banc d’épreuve de Saint-Etienne l’ait neutralisée. Aujourd’hui, un armurier refusera d’acheter une arme dans ces conditions, du fait que le prix de la neutralisation sera supérieur à la valeur de revente du PA neutralisé. Bien au contraire : il réclamera plus de 50 € au détenteur du pistolet pour le détruire règlementairement ou le faire détruire par le Banc d’épreuve. Alors le grand-père remportera son arme et s’en débarrassera de façon illégale : vente au premier venu, mise en déchetterie ou don aux petits enfants. La sécurité publique en sort-elle gagnante ?.

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Le Banc d’Epreuve de St Etienne est un établissement de droit privé sous tutelle de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon Métropole. Les armes sont éprouvées à St-Etienne depuis le début du XVIIIe siècle, mais c’est exactement en 1782 qu’il est créé juridiquement. Aujourd’hui, il doit rendre des comptes aux ministères de l’Intérieur, de la Défense et de l’Industrie.

Pourquoi un tel prix ?

Il y a plusieurs raisons à cela.
- D’abord, les opérations techniques se sont alourdies et l’outillage qui s’use très vite est fort coûteux.
- Mais, surtout, la situation de monopole qui résulte de la délégation de service public dont le Banc d’épreuve est le seul à bénéficier en France, permet de décider arbitrairement des tarifs. Bien entendu, il s’agit d’une politique à courte vue qui n’aura à terme comme seul effet que de tarir le nombre de clients pour la neutralisation.

Mais il y a une raison plus profonde, ce sont les résultats comptables de la Chambre de Commerce et d’Industrie à laquelle appartient le Banc national d’épreuve. Entre 2014 et 2019, elle a subi une baisse fiscale de 60 %, si bien « qu’elle n’a pas d’autre choix que d’optimiser ses propres ressources ». Ainsi, on peut lire dans le compte rendu de l’AG 2018 de la CCI : « ... Le ministre dit que les CCI métropolitaines n’auront pas de mal à facturer leurs services. »
Et dans le compte rendu de l’AG 2019 on découvre « une augmentation pour le Banc national d’épreuve de 120 K€ [2]. » Comment cela a-t-il été possible ? Tout simplement parce que « la CCI a demandé à un cabinet conseil de l’accompagner afin de bâtir un business model plus performant, plus agressif » et « le BNE reste un service commercial ». « Le président est conscient que cette augmentation incontournable ne sied pas à certains marchands d’armes » (il parle des fabricants de la région de St-Etienne). « Cependant, il faut que chacun comprenne que les réductions de ressource fiscale ont des conséquences fortes sur l’activité de la CCI. » Cette décision a été adoptée par 70 votes positifs et 29 abstentions [3].
Nous comprenons que les caisses de la CCI soient vides et que ce sont les collectionneurs qui les remplissent.

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Le propriétaire de cette collection comportant des Sten, un FM 24/29 et un Bren sait qu’il est le dernier propriétaire à pouvoir entendre le « clic clac » du mécanisme. Le prochain n’aura que des « ferrailles » qui ressembleront à des armes.

Notre intervention ?

Nous avons donc fait un courrier au Premier ministre avec copie aux ministres de l’Intérieur, de la Défense, de l’Industrie, des Finances, à la DGA et au SCA et avons joins des exemples de tarifs. La réponse du Cabinet du PM du 24 juillet 2019.
Notre demande est toute simple :
- soit exiger du Banc national d’épreuve de Saint-Etienne qu’il réduise très significativement ses tarifs prohibitifs,
- soit ouvrir à la concurrence l’opération de neutralisation. Dans de nombreux États européens elle est effectuée à bien moindre frais et avec tout autant de soin et d’efficacité par des armuriers agréés par les États, sous leur responsabilité. C’est prévu par la directive [4].
Il suffirait simplement de modifier deux arrêtés [5]. Nous savons très bien qu’il n’est pas dans les intentions du gouvernement de dessaisir le Banc national d’épreuve de St-Etienne, d’autant plus qu’il est appelé à jouer un rôle important en lien avec le nouveau Système d’information des armes (SIA) et du Référentiel général des armes (RGA) comme nous l’expliquions le mois dernier.

Pourtant, il va bien falloir faire quelque chose sous peine de voir se tarir complètement la neutralisation au profit du marché noir.
Nous aurons fait ce que nous avons pu pour éviter une catastrophe prévisible et annoncée.

Ce que nous avons fait :

- Intervention auprès du Premier Ministtre à propos des prix prohibitifs de la neutralisation des armes. Avec copie au Ministre de l’intérieur, a la Ministre des armées, au Ministre de l’industrie, au Ministre des finances, ainsi qu’à la DGA et au SCA.
- La réponse du Cabinet du PM du 24 juillet.
- Tarifs contestés des neutralisation.
- 4 septembre 2019 : nouvelle intervention auprès du SCA, le Premier Ministre ayant dit qu’il transmettait au Ministre de l’Intérieur.
- 8 octobre 2019 : Saisine de l’autorité de la Concurrence et des prix. Elle fait suite à notre premier courrier du 18 septembre 2019
- 18 septembre 2019 : saisine d’UFC que Choisir.

L’équivalence des neutralisations étrangères et langue de bois
Dans son article 10 ter §4, la directive avait faussement prévu une équivalence possible avec cette précision « les États membres peuvent notifier à la Commission dans un délai de deux mois suivant le 13 juin 2017 leurs normes et techniques nationales de neutralisation appliquéées avant le 8 avril 2016, en exposant les raisons pour lesquelles le niveau de sécurité garanti par ces normes et techniques nationales de neutralisation est équivalent à celui garanti par les spécifications techniques de neutralisation des armes à feu énoncées à l’annexe I du règlement d’exécution tel qu’applicable au 8 avril 2016. »
Cela aurait été impossible puisque les normes techniques étaient nouvelles et drastiques. Cela était une « fausse bonne possibilité », c’est peut-être cela la démagogie européenne ?
Les parlementaires sont sur le sujet et posent des questions aux ministres :
Neutralisation : coût prohibitif
-  3/7/2018 question n°1033 posée au Ministre de l’intérieur et déposée par le Député Franck Marlin député LR de l’Essonne.
-  6/2/2018 question n°5033 posée au Ministre de l’Intérieur et déposée par le Député Jean Luc Warsmann député UDI des Ardennes.
-  3/7/2018 question n°10031 posée au Ministre Economie et finances et déposée par le Député Jean-Charles Taugourdeau député LR Maine et Loire.
-  9/4/2019 question n°18525 posée au Ministre de l’Intérieur et déposée par le Député Franck Marlin député LR de l’Essonne.
-  9/4/2019 question n°18528 posée au Ministre Action et comptes publics et déposée par le Député Franck Marlin député LR de l’Essonne.

Neutralisation : reconnaissance des anciennes neutralisations ou des autres Etats.
- 9/4/2019 question n°18526 posée au Ministre de l’Intérieur et déposée par le Député Franck Marlin député LR de l’Essonne.
-  3/7/2018 question n°10033 posée au Ministre de l’Intérieur et déposée par le Député Franck Marlin député LR de l’Essonne.
 

[1Règlement d’exécution UE 2015/2403 de la Commission du 15 décembre 2015.

[2Voir compte rendu de l’AGO du 18 décembre 2017 ainsi que celui de l’AGO du 19 novembre 2018.

[3Voir l’évolution des tarifs du banc d’épreuve au 1er janvier 2018.

[5Arrêté du 12 mai 2006 sur les neutralisations des systèmes d’armes embarqués et arrêté du 28 janvier 2019 sur les règles applicables aux armes à feu neutralisées.

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