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Musées publics et privés : un régime fiscal contrasté
dimanche 16 février 2025, par

Sur près de 10 000 musées en France, seuls 1 300 portent le label « Musées de France », attribué par le ministère de la Culture. Cette appellation est réservée aux établissements gérés par l’État, par une autre entité publique ou par certaines associations à but non lucratif.
Les statistiques révèlent que la moitié des musées français enregistrent moins de 10 000 visiteurs par an. En détail, 19 % accueillent entre 10 000 et 20 000 visiteurs, 18 % entre 20 000 et 50 000, 7 % entre 50 000 et 100 000, 4 % entre 100 000 et 250 000, tandis que seuls 2 % dépassent les 250 000 entrées annuelles.
Dans cet article, nous allons examiner en détail la fiscalité des musées. Toutefois, il est important de rappeler qu’un musée, qu’il soit public ou privé, n’est jamais véritablement rentable. Soit il représente un coût pour la collectivité, soit il dépend en grande partie d’un mécène pour assurer son fonctionnement. C’est le prix à payer pour préserver et transmettre la culture !
Les différentes études économétriques menées indiquent que le prix des billets d’entrée ne constitue qu’une part relativement faible des revenus des musées publics, en particulier des plus grands, représentant en moyenne 20 %. Ces établissements bénéficient en effet de subventions provenant de diverses institutions ainsi que d’un mécénat conséquent [1].
À l’inverse, pour les musées privés, notamment les plus petits, les recettes des billets d’entrée jouent un rôle bien plus central, représentant entre 60 % et 90 % de leurs revenus, auxquels s’ajoutent principalement les ventes issues des boutiques de souvenirs.
Les musées publics sous perfusion financière !
En France, le soutien direct du ministère de la Culture aux musées publics est considérable. En 2020, les subventions publiques destinées aux dépenses de fonctionnement s’élevaient à 341,97 millions d’euros, tandis que les dotations d’investissement atteignaient 41,83 millions d’euros. À cela s’ajoutaient 28,33 millions d’euros dédiés à la masse salariale.
Les Musées de France n’appartenant pas à l’État et gérés par les directions régionales des affaires culturelles ont également bénéficié d’un soutien financier de 11,5 millions d’euros en crédits de fonctionnement et de 12,59 millions d’euros pour l’investissement. Par ailleurs, la participation de l’État aux acquisitions d’œuvres s’élevait à 1,6 million d’euros.
Certains Musées de France relèvent d’autres ministères, comme celui des Armées, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, de l’Éducation nationale, des Sports, de l’Intérieur, ou encore de l’Économie, des Finances et de la Relance. Parmi eux, seuls les musées du ministère des Armées bénéficient d’une ventilation budgétaire claire, avec une dotation de 44,5 millions d’euros. En revanche, les budgets alloués aux musées dépendant des autres ministères ne sont pas détaillés de manière spécifique.
Selon un rapport de la Cour des comptes publié en mars 2011 sur la gestion des musées nationaux, « le coût de fonctionnement des seuls musées nationaux s’élevait à 667 millions d’euros, auxquels s’ajoutaient 93 millions d’euros pour la rémunération de leur personnel prise en charge par l’État, portant le total à 760 millions d’euros. Sur cette somme, 406 millions d’euros provenaient directement des subventions de l’État. La même année, leur chiffre d’affaires « culturel » – incluant les recettes de billetterie, les redevances et le prix des prestations – atteignait 178,31 millions d’euros, soit moins de la moitié du montant des subventions publiques ».
En complément, les collectivités territoriales participent également au financement des musées. Les dépenses culturelles s’élèvent à 773 millions d’euros pour les Régions, 1,354 milliard d’euros pour les Départements, 5,594 milliards d’euros pour les Communes, et 1,608 milliard d’euros pour les intercommunalités. Entre 10 % et 20 % de ces budgets sont consacrés aux musées publics.
L’impact du prix du billet sur la fréquentation des musées
Toutes les études s’accordent à montrer que le prix des billets d’entrée est un facteur déterminant dans la fréquentation des musées, en particulier pour les personnes à revenu modeste. Lorsqu’un visiteur ne réside pas à proximité, son choix de visiter un musée repose non seulement sur le prix du billet, mais aussi sur l’ensemble des coûts annexes – transport, hébergement, restauration – qu’il compare à ceux d’autres activités de loisirs. Une étude menée en Écosse estime d’ailleurs que ces coûts indirects représentent plus de 80 % du coût total d’une visite [2].
En France, une étude réalisée par le Credoc pour la Direction des Musées de France (DMF) a confirmé que le prix des billets d’entrée, en fonction des revenus des visiteurs, influence directement le nombre de visites et, par conséquent, le chiffre d’affaires des musées.
Concernant la répartition des entrées, on observe que :
• 35 % des visiteurs fréquentent les musées nationaux,
• 50 % se rendent dans d’autres musées publics,
• 15 % visitent des musées privés.
En moyenne, la fréquentation se compose de 62 % de visiteurs individuels, 11 % de groupes et 8 % de scolaires.
Toutefois, attirer des groupes requiert des conditions spécifiques pour répondre aux attentes des tour-opérateurs, un défi souvent difficile à relever. Cela explique pourquoi peu de musées privés parviennent à en faire une source significative de fréquentation. Quant aux scolaires, leur venue dépend fortement des appuis locaux et du respect des critères pédagogiques imposés par les académies, ce qui représente une contrainte supplémentaire pour les petits musées privés.
Comment choisir le bon statut légal ?
Il est important de souligner que le choix d’une société à responsabilité limitée (SARL) pour l’exploitation d’un musée privé est souvent privilégié en raison de sa protection juridique renforcée par rapport à une association loi 1901. Ce statut limite la responsabilité des dirigeants à leur seul apport et permet aux propriétaires des collections de conserver leur maîtrise.
De plus, pour les musées déjà existants, toute modification de structure juridique (passage d’une association à une société, par exemple) est pratiquement impossible, car elle entraînerait un changement de régime fiscal aux conséquences financières lourdes : imposition immédiate des bénéfices, taxation des boni de liquidation, plus-values sur le fonds de commerce, ainsi que divers droits d’enregistrement et frais annexes. Ces contraintes rendent toute transformation juridiquement et financièrement non viable pour les musées privés.
L’exploitation d’un musée repose avant tout sur la passion des collectionneurs et des amateurs d’art. Ainsi, les structures privées qui gèrent des musées réalisent rarement des bénéfices significatifs. Leur principal objectif est généralement de maintenir l’équilibre financier et de réinvestir dans les collections permanentes.
Cependant, une distorsion de concurrence s’est progressivement installée entre les musées gérés par des personnes morales de droit public et ceux administrés par des structures privées. Cette inégalité se manifeste notamment en matière de fiscalité, avec des écarts notables sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la contribution économique territoriale (CET) (incluant la cotisation foncière des entreprises (CFE) et parfois la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)), la taxe foncière (TF), l’impôt sur les sociétés (IS), ainsi que la possibilité de recevoir des dons fiscalement déductibles.
En effet, les musées publics sont en principe exonérés de toutes ces taxes et impôts commerciaux. Ils ne sont pas soumis à l’impôt sur les sociétés [3], à la taxe foncière [4], ni à la contribution économique territoriale (CFE et CVAE [5]. De plus, ils peuvent régulièrement recevoir des dons ouvrant droit à une déduction fiscale pour les donateurs [6].
- De nombreux musées fonctionnent avec des ressources limitées et disparaissent après le décès de leur fondateur.
L’exonération de TVA sur les droits d’entrée constitue une autre différence majeure. Tandis que les musées publics bénéficient d’un taux zéro [7], les musées privés sont soumis depuis le 1er janvier 2014 à un taux intermédiaire de 10 %(contre 5,5 % auparavant) [8]. Cette taxation entraîne une hausse mécanique du prix des billets ou une réduction de la marge de 10 % pour les musées privés, les plaçant ainsi en désavantage concurrentiel face aux musées publics.
Cette situation est d’autant plus déséquilibrée que les musées publics bénéficient d’avantages en nature supplémentaires : subventions publiques, mise à disposition de locaux et de personnel, promotion gratuite dans la presse institutionnelle, et accès facilité aux visites scolaires. Ces soutiens, cumulés aux avantages fiscaux, creusent encore davantage l’écart entre musées publics et privés, rendant la compétitivité de ces derniers plus difficile.
Société civile, commerciale ou association : quel choix pour un musée privé ?
Parmi les musées dits « privés », il est important de différencier ceux dont l’exploitation repose sur une société commerciale ou civile de ceux qui fonctionnent sous le statut d’une association à but non lucratif (loi 1901).
Les associations loi 1901 bénéficient d’un régime fiscal avantageux : elles ne sont pas soumises aux impôts commerciaux, ce qui signifie qu’elles échappent à l’impôt sur les sociétés [9], à la TVA [10] et à la contribution économique territoriale (CET) [11]. En revanche, elles restent redevables de la taxe foncière.
Toutefois, si une association mène une activité considérée comme lucrative, elle devient assujettie aux impôts commerciaux [12]. Il est donc essentiel, pour les musées gérés sous ce statut, de veiller à respecter les critères de non-lucrativité afin de conserver cet avantage fiscal.
Critères de non-lucrativité d’une association Pour qu’une association soit considérée comme non lucrative, elle doit remplir trois conditions essentielles : Une gestion désintéressée ![]() ![]() ![]() Une absence de concurrence avec les entreprises commerciales ![]() Des conditions spécifiques en cas d’activité concurrentielle ![]() - Ses produits ou services ne doivent pas être disponibles sur le marché ou alors de manière insuffisante. - Ils doivent s’adresser à un public spécifique, qui ne pourrait normalement pas accéder aux mêmes prestations dans le circuit commercial. - Les prix pratiqués doivent être inférieurs à ceux du marché. ![]() Si ces critères ne sont pas respectés, l’association peut être requalifiée en structure à but lucratif et devenir ainsi redevable des impôts commerciaux. |
- En plus de sa mission pédagogique auprès du public, le musée joue un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine pour les générations futures. Notre image : dépôt du musée de l’armée au Musée d’art et d’industrie de St Etienne.
Exonération fiscale des associations : des exceptions possibles
Bien qu’exonérées d’impôts commerciaux, certaines associations peuvent y être soumises sous certaines conditions.
Les associations bénéficiant d’une exonération au titre de la règle des "4 P" sur leur activité principale peuvent exercer une activité lucrative accessoire sans être imposées, à condition que leurs recettes ne dépassent pas 78 596 € en 2024. Dans ce cas, elles bénéficient d’une franchise d’imposition.
Cependant, même en respectant ces critères, une association non lucrative peut être assujettie aux impôts commerciaux si elle entretient des relations privilégiées avec une entreprise du secteur lucratif, lui procurant un avantage concurrentiel [13]. Dans ce cas, l’association devient redevable des impôts dès le premier euro de revenu généré, sans bénéficier du seuil d’exonération de 78 596 €.
Par ailleurs, l’administration fiscale adopte une approche stricte : une association qui ne remplit pas pleinement les critères de non-lucrativité définis par la doctrine fiscale (notamment l’absence de concurrence ou l’utilité sociale évaluée selon la règle des "4 P" peut être considérée comme ayant un caractère lucratif, même si elle peut prétendre à une exonération spécifique.
Perte de l’exonération fiscale : quelles conséquences pour une association ?
Lorsqu’une association ne remplit plus les conditions d’exonération, elle devient redevable des impôts commerciaux, avec des implications différentes selon la situation :
o Imposition sur l’ensemble des activités lorsque : la gestion désintéressée n’est plus assurée ou l’activité non lucrative ne constitue plus l’essentiel des activités de l’association.
o Imposition sur les seules recettes des activités lucratives si : l’association maintient une sectorisation fiscale en matière d’impôt sur les sociétés. Les recettes issues des activités lucratives accessoires dépassent le seuil de 78 596 €. Ces activités lucratives sont comptabilisées dans un secteur distinct [14].
- Le MMPark de la Watzenau, oeuvre d’un collectionneur passionné.
Un risque fiscal même pour une structure à but non lucratif
Même lorsqu’une association est à but désintéressé et que ses recettes restent inférieures à 78 596 €, elle peut néanmoins être soumise à la TVA. Par exemple, si un musée associatif vend des billets d’entrée, l’administration fiscale peut estimer qu’il exerce une activité concurrentielle avec d’autres musées et lui appliquer un taux de TVA de 10 %.
Concernant la cotisation foncière des entreprises (CFE), bien que la gestion de l’association soit désintéressée, l’administration fiscale peut considérer qu’elle concurrence une entreprise commerciale offrant une prestation similaire dans un secteur géographique élargi, interprété parfois de manière très extensive.
Anticiper les risques fiscaux avec un rescrit fiscal
Pour éviter qu’une activité initialement associative ne soit requalifiée en activité commerciale, ce qui entraînerait l’application de la TVA et d’autres impôts commerciaux, avec un risque de redressement fiscal, d’amendes et de majorations, il est fortement recommandé de déposer un rescrit fiscal. Cette demande doit être adressée au « correspondant association » de la Direction Départementale des Finances Publiques (DDFIP) du lieu d’implantation du musée.
Cette démarche permet d’obtenir une validation officielle quant aux exonérations fiscales applicables et d’anticiper d’éventuels risques fiscaux liés à l’activité du musée.
Pour aller plus loin : ![]() ![]() |
[1] Martin S. Feldstein, The Economics of Art Museums, The University of Chicago Press, 1991, 374 p. (ISBN 0226240738), cité dans Benhamou, p. 57 ;
[2] Bailey, Falconer, Foley et McPherson (1998), repris dans Handbook, p. 1021)
[5] Code Général des Impôts, art. 1447 et 1449 et suivants
[7] CGI, art. 256 B ; DB 3 A 3141, n° 27 et DB 3 A 3182, n° 30,
[8] conformément aux dispositions de l’article 279-2° b ter du code général des impôts.
[14] CGI art. 206 1bis et 261 7° b, ainsi que BOI-IS-CHAMP-10-50-20-20 du 20/03/2024 ;