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YouTube censure les chaînes d’armes à feu

mardi 21 février 2023, par Michaël Magi vice Président de l’UFA

Depuis le début de 2023, la plateforme de vidéos en ligne YouTube supprime la rémunération d’un grand nombre de créateurs de vidéos sur les armes à feu, et va même jusqu’à la suppression de certaines chaînes, présentant pourtant du contenu parfaitement légal, pédagogique et bienveillant.

Déjà en 2018, YouTube avait intégré un règlement spécifique relatif aux armes à feu qui avait inquiété la sphère des amateurs d’armes. D’autant plus que ce règlement a été mis en place quelques jours à peine avant un grand rassemblement de la NRA aux Etats-Unis. L’objectif avancé était de supprimer tout contenu présentant ou incitant l’utilisation de matériel illégal comme des conversions en full-auto et la fabrication d’armes improvisées ou imprimées en 3D.

Mais ce règlement a aussi interdit tout contenu commercial lié directement aux armes à feu. Ainsi, il est devenu impossible ; par exemple pour un armurier ou un fabricant, de présenter ses produits avec un lien vers son site de vente. Cela a aussi mis fin aux sponsoring pour énormément de chaînes d’armes à feu : sur YouTube, il est fréquent que les créateurs de contenus établissent des partenariats avec des boutiques et proposent par exemple des codes de réduction chez certains commerçants, ou indiquent tout simplement le lien vers la boutique où ils ont acheté le matériel qu’ils utilisent. Cela n’est plus possible pour les armes à feu, et a mis de nombreux créateurs de contenu en grande difficulté : fin des partenariats, suppressions de vidéos, avertissements, démonétisation [1], etc. De nombreuses chaînes ont ainsi dû soit stopper leur activité, soit trouver d’autres moyens de se financer. Rappelons que l’utilisation de ces liens commerciaux est restée parfaitement autorisée dans tout autre domaine que les armes à feu et les drogues !

Un choix de sponsors de plus en plus restreint

Suite à cette interdiction de liens commerciaux pour des ventes d’armes, les partenariats possibles pour les chaînes d’armes à feu ont été de plus en plus restreints. En effet, les grandes marques de fabricants d’armes étant exclues, et les célèbres sponsors habituels que vous connaissez sûrement refusant pour la plupart de s’associer à du contenu traitant d’armes à feu, il ne reste plus que les marques d’accessoires plus ou moins liés aux armes, mais n’étant pas des armes. D’où la quasi omniprésence notamment des marques de lampes tactiques bien connues dans ce domaine, seuls sponsors assez gros pour assurer un financement décent des chaînes d’armes à feu.

Un règlement vague et rétroactif

Si le règlement de YouTube comporte certaines règles tout à fait claires et compréhensibles, comme l’interdiction de présenter des instructions pour la fabrication d’armes ou pour convertir une arme en full-auto, certaines sont bien plus vagues et soumises à interprétation.

Tout contenu destiné à vendre des armes à feu, à expliquer aux spectateurs comment fabriquer des armes à feu, des munitions et certains accessoires, ou à enseigner aux spectateurs comment installer ces accessoires, est interdit sur YouTube.

YouTube cite ensuite quelques exemples de situations interdites, mais sans fournir de liste complète notamment des accessoires qu’ils n’acceptent pas. Le règlement précise d’ailleurs clairement que cette liste n’est pas exhaustive ! Ainsi, du jour au lendemain, ces règles pourraient tout à fait être interprétées différemment… Et quand il y a de nouvelles interprétations ou modifications de ce règlement, elles sont rétroactives et sans préavis : elles s’appliquent donc immédiatement sur toutes les vidéos, y compris celles qui sont déjà en ligne parfois depuis plusieurs années.

Un durcissement de la politique anti-armes

La première vague de censure commencée en 2018 a vraiment ciblé les contenus commerciaux ou illégaux. En parallèle, YouTube a quand même laissé vivre de très nombreuses chaînes présentant du contenu sur les armes à feu, que ce soit du tir de loisir, des vidéos d’instruction, du contenu historique, des présentations et essais d’armes, et des vidéos d’apprentissage par exemple sur le rechargement de munitions. Il y a quand même eu quelques cas de chaînes fermées ou de vidéos démonétisées alors qu’elles ne violaient apparemment aucune règle, notamment sur des sujets polémiques comme les tueries de masse dans les écoles aux Etats-Unis, mais cela reste à la marge. Et pour les vidéos qui ont été démonétisées ou supprimées à tort, souvent détectées automatiquement par un algorithme, il était parfois possible de dialoguer avec les équipes de YouTube et de réactiver la monétisation après plusieurs jours de négociations [2].

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Ian McCollum, de la chaîne américaine Forgotten Weapons. Il présente en profondeur un grand nombre d’armes, généralement des modèles relativement rares. Il pose ici avec une mitrailleuse française Hotchkiss. Sa chaîne, très suivie par de nombreux amateurs d’armes à travers le monde, est en première ligne face à la censure YouTube.

Cependant, en ce début d’année 2023, YouTube semble brusquement appliquer son règlement de façon bien plus stricte, et de très nombreuses vidéos sont démonétisées ou supprimées alors qu’elles ne posaient aucun problème jusqu’alors. De plus, la communication de YouTube envers les créateurs ne donne que peu d’explications concernant la partie du règlement qui a été violée, ou la séquence exacte de la vidéo qui pose problème. Impossible alors pour les créateurs de modifier leur vidéo pour se mettre en conformité. Pire encore, même en essayant de discuter avec les équipes de YouTube pour en savoir plus, les créateurs se heurtent très souvent à un mur et ont de plus en plus l’impression de dialoguer avec un algorithme plutôt qu’avec des humains. Et cela, quand ils arrivent à entrer en contact avec quelqu’un ou quelque chose, ce qui est de plus en plus difficile. Il faut parfois passer par d’autres plateformes comme Twitter pour arriver à entrer en contact avec les équipes de YouTube ! Un comble !

De nombreuses chaînes françaises et américaines ont été impactées, et parfois de façon assez brutale. En effet, la politique de YouTube en cas de non-respect des règles passe par un système d’avertissements, empêchant de publier du contenu pendant un certain temps. Au bout de 3 avertissements en moins de 90 jours, la chaîne est tout simplement supprimée et l’utilisateur banni de la plateforme. Or, comme YouTube n’accepte subitement plus certaines vidéos qui ne posaient aucun problème jusqu’alors, si une chaîne contient par malheur plusieurs vidéos impactées, elle peut très rapidement atteindre les 3 avertissements et subir une fermeture quasi immédiate.

Cela est d’autant plus problématique lorsque les vidéos incriminées respectent la réglementation, et qu’elles sont présentées dans un but purement pédagogique ! Ce fut par exemple le cas en ce début d’année pour une vidéo de la chaîne Maître Luger, présentant l’histoire et la technique du Suomi KP31 légalement et dans un environnement parfaitement encadré. Après plusieurs mois en ligne sans soucis, cette vidéo a été supprimée sans préavis, et la chaîne a reçu un avertissement car la vidéo fournirait “des instructions pour installer un accessoire mentionné dans le règlement”. Il semblerait que ce soit simplement l’insertion du chargeur camembert dans l’arme qui soit incriminé, pourtant comme dit précédemment cela était fait dans un cadre parfaitement légal et contrôlé, il ne s’agissait pas d’incitations à enfreindre une loi, la vidéo se voulait simplement instructive et historique sur ce modèle d’arme, il ne s’agissait même pas d’essais de tir !

Surveillance et restrictions sur les vidéos en direct

Depuis 2018, YouTube interdit de manipuler ou de transporter des armes lors de vidéos diffusées en direct. L’objectif assumé est de limiter les suicides en direct et la diffusion de fusillades ou de tueries de masse. L’algorithme et les équipes de YouTube semblent particulièrement efficaces pour surveiller ce point. La chaîne « Le French Grenier », présentée par Hadrien Neumayer, membre du CA de l’UFA, en a fait les frais en ayant pris en main une arme de sa collection pour la présenter à ses abonnés lors d’une vidéo en direct. Les équipes de YouTube ont immédiatement censuré la vidéo et coupé la diffusion, preuve que le contenu lié aux armes à feu est étroitement surveillé [3] !

Comme pour 2018, ces restrictions supplémentaires sont intervenues quelques jours avant un événement majeur aux Etats-Unis, le Shot Show qui a eu lieu du 17 au 20 janvier à Las-Vegas. Ces interdictions ont énormément limité les présentations de cet événement, d’habitude très largement couvert sur YouTube. Est-ce là le but recherché ?

L’essoufflement des chaînes d’amateurs d’armes

Face à cette menace grandissante, les vidéos et les chaînes impactées étant de plus en plus nombreuses, beaucoup de YouTubeurs sont contraints de trouver des moyens de financement alternatifs et/ou de quitter purement et simplement la plateforme.

D’autres plateformes de vidéo en ligne existent, avec des règles bien plus accueillantes pour les amateurs d’armes, comme Utreon ou Odysee, mais il reste quand même assez difficile pour un créateur de contenu de changer de plateforme sans perdre une très grande partie de son audience, qui ne suit pas forcément et reste en général fidèle à YouTube au vu de la popularité de la plateforme et par habitude. De plus, pour les créateurs, YouTube propose tout simplement les meilleurs outils du marché pour la mise en ligne et l’édition des vidéos, il est donc d’autant plus difficile de passer chez un concurrent.

L’interprétation que fait YouTube de son propre règlement semblant changer inopinément et dans le mauvais sens, l’inquiétude grandit notamment sur les chaînes dédiées au rechargement de munitions, et aux chaînes historiques qui expliquent la technique des armes, pouvant tomber sous le couperet de l’interdiction du jour au lendemain…

Des situations absurdes

Le plus compliqué est de savoir ce qui ne convient pas à YouTube. Tirer avec une arme ayant un modérateur de son ne poserait pas de problème. Montrer ce modérateur de son non plus. Mais la séquence ou l’on monte ce modérateur de son sur l’arme serait inacceptable car il s’agirait d’une « instruction » pour installer cet accessoire que YouTube n’aime apparemment pas. L’insertion d’un chargeur de grande capacité (30 cartouches inclus) serait aussi problématique, mais pas son utilisation. Cela devient complètement absurde vu la technicité incroyablement complexe de ces opérations…

Ainsi, de nombreux YouTubeurs commencent à modifier les vidéos qu’ils ont déjà publiées, afin de flouter ou couper ces séquences pour échapper à la censure. Mais sans règles claires de la part de YouTube, impossible de savoir exactement ce qui ne va pas !

Même des chaînes américaines aussi populaires, instructives et politiquement correctes que Forgotten Weapons ont commencé à se créer préventivement un compte sur des plateformes alternatives en prévision de la censure, tout en cherchant déjà d’autres moyens de financement.


Voici une vidéo de la chaîne Maître Luger à propos de la censure YouTube.

Le politiquement correct selon YouTube

Contactées par les plus grosses chaînes américaines sur les armes à feu, mais aussi par des hommes politiques américains comme le procureur général du Montana, les équipes de YouTube bottent en touche en expliquant qu’elles essaient simplement d’appliquer de façon juste leur règlement, et de limiter la propagation des vidéos indiquant comment fabriquer des armes fantômes et autres modifications illégales. Quant aux changements dans leur règlement, ils seraient issus d’un processus normal et régulier de révision de l’ensemble de leurs règles, en concertation avec des experts.

Pourtant, force est de constater que la censure de YouTube va bien au-delà, même concernant des vidéos qui restent disponibles sur la plateforme. En effet, énormément de vidéos sur les armes à feu sont exclues du “mode restreint” de YouTube : ce mode est censé filtrer le contenu destiné à “un public averti” (il ne s’agit pas ici d’une simple limite d’âge destinée aux enfant, comme l’explique YouTube dans sa FAQ), et est activable par l’internaute, ou peut être forcé plus largement par des organisation comme des bibliothèques, des écoles, des universités ou d’autres lieux publics mettant à disposition un accès internet.

Voici un exemple de ce mode sur la chaîne de Maître Luger :

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Voici une petite partie des plus de 220 vidéos de la chaîne en mode classique.
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Et voici la totalité de ce qu’il reste de la chaîne en mode restreint. Pourtant, toutes les vidéos manquantes sont bien des contenus pédagogiques et historiques.

En mode restreint, n’apparaissent que ses vidéos traitant de chars, d’avions, ou de sujets « politiquement corrects » selon YouTube. Seules deux vidéos d’armes à feu ont semble-t-il été oubliées par l’algorithme parmi les nombreuses que compte sa chaîne ! Ainsi, si vous allez par exemple dans une bibliothèque qui a activé ce mode restreint sur son réseau, vous ne pourrez vous renseigner que sur l’histoire des chars, mais pas des armes à feu ! Ce contenu semble banni en public pour YouTube ! Naturellement, ces vidéos invisibles en mode restreint font mécaniquement moins de vues que les autres, et par conséquent rapportent moins à leur créateur, qui comme nous l’avons vu ont déjà des options très limitées concernant leurs partenariats… Ainsi, ils sont de plus en plus mis en difficulté et poussés vers la sortie.

A noter qu’en mode restreint, on trouve quand même des vidéos sur le plan national d’abandon d’armes, tout comme beaucoup de vidéos ouvertement anti-armes… Le hasard de l’algorithme ?

Opération de censure anti-armes à grande échelle ?

Pour beaucoup de YouTubeurs, cette affaire de censure sur YouTube (qui ne cible pas que les armes) fait écho aux fameux « Twitter Files » : des documents qui ont été révélés en Décembre 2022 par Elon Musk, le nouveau patron de Twitter, et qui prouveraient une opération de censure à grande échelle visant des comptes jugés politiquement incorrects.

A la suite de ces révélations et au vu de certains agissements de YouTube, mais aussi des autres géants de la « Big Tech » (Google, Facebook, Instagram, etc.), de nombreux politiciens américains commencent à demander des enquêtes sur l’ensemble de ces multinationales.

Dans les faits, il est plus probable qu’il s’agisse tout simplement d’une tentative de reconversion de YouTube vers des formats de vidéos plus courtes afin de concurrencer le réseau social TikTok. Ainsi, YouTube met en place des règles pour « pousser dehors » les créateurs de contenus qui font des vidéos habituellement plus longues. En effet, les nouveaux formats courts de YouTube, les « shorts », sont en plein boom et ne semblent pas subir de censure aussi sévère que les vidéos plus longues. Il est cependant regrettable que des chaînes produisant du contenu documentaire ou du divertissement de qualité sur les armes à feu en fassent les frais.
Voir aussi : Les organismes "hoplophobes".

Rel. L-09/02/23

 

[1Sur YouTube, les vidéos populaires font l’objet d’une rémunération des créateurs de contenus en fonction du nombres de vues de la vidéo, il s’agit notamment de revenus publicitaires que YouTube reverse aux créateurs. Pour certaines grosses chaînes, il s’agit de leur principale source de revenus. La démonétisation, c’est la suppression de tous revenus liés à une ou plusieurs vidéos de la chaîne. Ainsi, cela peut mettre certaines chaînes en grande difficulté financière.

[2A noter qu’en cas d’erreur de YouTube qui a supprimé à tord la monétisation d’une vidéo, les créateurs ne sont pas remboursés sur la période où la vidéo a été démonétisée à tort !

[3Les équipes de modérateurs de YouTube sont énormes, en 2019 ils annonçaient pas moins de 10.000 employés !

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