FINIADA : condamné à perpétuité !

jeudi 4 juillet 2024, par Xavier Mariani

Dans l’article « FINIADA : au bout du parcours la réussite » Virgile nous fait le récit d’une odyssée kafkaïenne au bout de laquelle, après une lutte acharnée et exemplaire, il a réussi à être effacé du FINIADA. Dans sa conclusion il précise : « toutes les solutions doivent être essayées ». C’est justement là que réside le problème : il n’existe pas de procédure établie pour sortir du FINIADA ainsi, la décision préfectorale reste un fait du prince.

Pour bien comprendre le problème, remontons à la source qui est l’article L312-3 du Code de la Sécurité Intérieure. Il liste les infractions pour lesquels une condamnation inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire interdit à la personne de détenir des armes d catégories A, B et C.
Nous relevons 49 types d’infractions prévues par la loi. Et leur lecture n’a pas à inquiéter tout citoyen ordinaire qui respecte les lois et qui agit en bon père de famille. Ces infractions relèvent des tribunaux judiciaires et sont réprimés par des magistrats au nom du peuple français à l’issue d’un procès susceptible d’appel et de cassation.
Il est à noter que la loi permet au tribunal de ne pas inscrire la condamnation sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire en raison des circonstances et de la personnalité du condamné.

Donc jusque-là vous vous dites, tout va bien : la loi votée par nos députés et sénateurs est claire et précise et l’ordre judiciaire l’applique.

Et pourtant, tout n’est pas si simple

A été introduit dans le CSI [1] un article qui permet au préfet de saisir les armes des « personnes dont le comportement laisse craindre une utilisation dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui. »
Ce droit absolu, qui s’exerce sans limitation de durée a produit une explosion des « cas de FINIADA » comme s’il s’agissait d’une maladie contagieuse. Fin 2023 il y avait plus de 120 000 inscrits et le nombre croît à raison de 20 000 par année.

Tout va bien, vous n’avez jamais été condamné, comme vous n’avez rien à vous reprocher, pourquoi diantre le préfet vous inscrirait-il au FINIADA ?
Erreur comme le montre le récit de Virgile, il existe le fichier du « Traitement des Antécédents Judiciaires ». Dans le « TAJ » est inscrite toute personne impliquée directement ou simplement nommée lors d’une déclaration de main courante, toute victime d’une infraction, d’un signalement ou d’une enquête préliminaire, même classée sans suite. Cette inscription perdure même après l’extinction d’une action publique ou une relaxe ou même une simple contravention.

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TAJ : une présomption de culpabilité

Voici un exemple très illustrant vécu par un tiers : une personne était persuadée que son voisin avait empoisonné son chat qui depuis 2 jours vomissait et ne mangeait plus. Lors de sa consultation, le vétérinaire n’avait pas établi un diagnostic précis. Convaincue que son voisin détestait les chats, cette personne a fait part de ses doutes aux services de police. il lui a été a conseillé de déposer une main courante voire un signalement. Ainsi le voisin a vu ses nom, prénom date et lieu de naissance ainsi que son adresse inscrits sur le TAJ comme auteur possible d’un délit. Le plaignant est également inscrit en tant que plaignant.

Dans le long fleuve tranquille se cache « le problème »

Tant que l’autorité administrative ne se penche pas sur votre personne, vous ignorez être mentionné dans le fichier des antécédents judiciaires et la vie demeure un long fleuve tranquille. Vous pouvez vous inscrire dans un stand de tir et obtenir la licence. Vous pouvez passer l’examen du permis de chasse ou le renouveler.
Mais tout peut basculer lors de l’acquisition ou de la déclaration d’une arme de catégorie C obtenue par don, succession, découverte. ou autres moyens légaux. Le préfet doit mener une enquête administrative. Devant le nombre de déclarations, l’usage préfectoral pour l’instant n’est pas la vérification systématique. Mais peu à peu l’automatisation des croisements des fichiers arrive et plus encore avec l’instauration du SIA. C’est déjà en place pour le fichier Hopsyweb (soins psychiatrique sans le consentement). Et pour le B2 avec les inscriptions automatisées ou désinscriptions du FINIADA. Le reste des opérations reste manuel (les 3/4 des éléments d’enquête) pour un bon bout de temps....
Par ailleurs de surcroit, il existera pour chaque détenteur d’arme un criblage automatique annuel du fichier FPR (fichier des personnes recherchées) et du FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste) effectué par la cellule de Nevers du SCAE.

Lors des demandes de détention de catégorie B ou de renouvèlement, une enquête administrative est dorénavant obligatoire. Cette dernière se cumule à l’ensemble des autres enquêtes administratives de sécurité préalables (TAJ, FPR, B2, enquête SNEAS, Hopsy Web = fichier ARS pour la santé mentale).

Le régime de l’arbitraire

Avec l’article L312-3 du CSI, la situation est claire : si vous êtes condamné pour l’un des 49 délits énumérés par la loi, vous êtes inscrit mécaniquement : c’est l’inscription judiciaire.
Mais l’article L312-3-1 du même CSI donne un pouvoir quasi absolu au préfet qui peut procéder à une inscription administrative. Cela parce que selon lui, « vous présentez un risque pour vous-même et pour autrui ». Il considère la situation selon ses propres critères, sans aucun garde-fou ni contrôle. Pour cela, il se fonde souvent sur le TAJ qui, comme nous l’avons vu plus haut, est une source d’informations subjectives et inconnues de la personne en cause. Bien que le TAJ n’ait aucune valeur juridique, c’est une simple source d’information, ses éléments sont souvent repris dans les motivations d’inscription au FINIADA. Et elles servent d’argument au préfet dans ses mémoires présentés au Tribunal administratif pour justifier sa mesure d’inscription [2].

Constitutionnellement, le préfet à l’obligation de de vous informer de son intention de vous inscrire et de votre droit à faire valoir vos observations et de vous permettre de faire valoir vos droits à la défense.
Après quoi il prend l’arrêté d’interdiction et là vous pouvez introduire un recours auprès des tribunaux administratifs. Le préfet prend son temps pour produire un mémoire en réponse, en moyenne c’est 18 mois. Parfois, le temps est tellement excessif qu’i faut l’injonction du tribunal pour le faire réagir. Ce temps long peut être décourageant. Au cas où le tribunal donne raison au préfet, vous êtes reparti au minimum pour d12 à 18 mois et si la Cour administrative d’Appel vous donne tort, il vous reste le Conseil d’État Et en ultime ressort, la Cour européenne des droits de l’homme..
Tout cela représente un coût d’environ 1 500 € pour le recours, 2 000 € pour l’appel et le recours à un avocat en Conseil d’Etat peut avoisiner les 5000 €.

Entre coût et délai, le découragement peut venir très vite.

Dans ce cas précis de Virgile, le préfet a ordonné la remise de l’arme et des munitions à la Gendarmerie et il a disposé pendant la durée de 1 an, à compter de la remise des armes, d’un droit de présenter ses observations. Il faudra 7 années à Virgile pour obtenir sa sortie du FiNIADA.

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Un droit absolu, exorbitant...

Le préfet peut également contourner les décisions de justice. Par exemple, vous avez été condamné et le tribunal a estimé qu’au vu des circonstances et de votre personnalité, il n’était pas nécessaire d’inscrire la peine au bulletin n° 2 et ce possiblement pour une infraction présente sur la liste des 49 infractions. Le
préfet invoque alors le TAJ et vous inscrit au FINIADA avec pour motif « personne présentant un danger pour elle-même et pour autrui ».

J’ai eu connaissance d’un dossier qui rentre exactement dans ce cas de figure :
La personne condamnée n’ayant aucun antécédent judiciaire a fait la preuve devant le tribunal qu’il était un collectionneur (essentiellement d’armes de poing de catégorie B datant de la première et seconde guerre mondiale) et inconnue auparavant des services de police. Ce collectionneur a reconnu spontanément les faits et a bénéficié de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité.
Dans ces conditions le tribunal a accordé à cette personne la non-inscription au bulletin n°2 de son casier judiciaire de la condamnation avec sursis et a prononcé une peine accessoire de 5 ans d’interdiction d’acquisition et de détention d’armes soumises à autorisation c’est-à-dire de catégorie B et aucune interdiction de détention d’armes de catégorie C et D. Cette personne a conservé sa licence et certaines armes lui ont été restituées.
Le préfet fort mécontent de l’issue de cette affaire a immédiatement inscrit cette personne au FINIADA en arguant qu’il était dangereux pour lui-même et pour autrui. En agissant ainsi, le Préfet prend ce que l’on appelle une décision individuelle défavorable. Cette décision administrative, susceptible de trois recours devant le tribunal administratif (recours en référé suspension, recours gracieux et recours pour excès de pouvoir) ne peut être considéré comme un jugement mais plus comme une mesure individuelle de sauvegarde au nom du Ministre de l’intérieur.
Pour faire bonne mesure, le préfet a également inscrit au FINIADA son épouse qui n’a jamais fait l’objet de la moindre procédure.
Dans cette affaire il convient de préciser que le préfet, lors de son audition par le juge d’instruction, avait déclaré que ce collectionneur serait interdit d’armes à vie quel que soit l’issue judiciaire le concernant. Ainsi la décision du Tribunal judiciaire a été contournée et le demeure encore aujourd’hui par le préfet. Sous l’Ancien-Régime, il existait ce qu’on appelait la lettre de cachet, c’est la dire le pouvoir du Roi d’incarcérer ou d’interner sans jugement. Autres temps, autres mœurs, ou pas.

Notons également le cas d’une personne condamnée pour une infraction non listée dans le CSI (pêche sans permis) que le préfet a inscrit au FINIADA en utilisant la motivation de : « dangereux pour lui-même et pour autrui ».

Ces deux exemples parmi tant d’autres établissent clairement que le préfet, représentant de l’État, dispose d’un droit qui peut être absolu et exorbitant en matière d’inscription au FINIADA.

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Depuis son bureau, le préfet à une sorte de pouvoir absolu.

...droit sans limite de temps !

Sur le plan juridique, tant qu’une décision de justice n’est pas intervenue, le préfet ne dispose que d’un droit provisoire, c’est à dire limité dans le temps, pour exercer une sanction administrative.
A noter qu’il doit fonder sa décision sur l’enquête administrative et les avis des enquêteurs qui doivent interroger la personne. S’il ne se borne qu’au seul TAJ, la personne mise en cause arrivera à gagner devant le Tribunal administratif.
L’inscription à perpétuité au TAJ ne vaut pas, en principe, la même perpétuité au FINIADA dont l’inscription est limitée à 5 ans par la loi. Mais le préfet peut jouer les prolongations et évoquer sa crainte pour en arriver à une durée extravagante [3]..

J’évoque maintenant un cas dont j’ai eu à connaître : un jeune conducteur un soir de réveillon a été contrôlé au volant avec un taux d’alcool de 0,80 grammes. Ce conducteur convoqué devant le Tribunal a été condamné à une amende et à une suspension de 3 mois du permis de conduire.
Le préfet qui avait prononcé une suspension immédiate de 6 mois a dû suivre la décision du Tribunal. Fort heureusement ignorant que ce jeune conducteur était chasseur, il ne l’a pas inscrit au FINIADA en prétextant un danger pour lui-même ou pour autrui. Nul doute que, si ultérieurement, le préfet en vient à connaitre son TAJ, ce conducteur sera inscrit au FINIADA quand bien même il n’aurait jamais récidivé.
Le parallèle établi avec le permis de conduire est celui qui est le plus démonstratif car en termes de dangerosité, la conduite irraisonnée ou sous l’empire de l’alcool ou de la drogue d’un véhicule est un risque pour la sécurité des personnes et des biens.

L’enquête menée par le préfet n’est ni contradictoire ni transparente et ne comporte aucun examen médical, aucun examen psychiatrique n’est diligenté alors qu’il s’agit de la dangerosité supposée d’une personne pour elle-même ou pour autrui.

J’ai eu à connaître le cas d’une personne sans inscription à son casier judiciaire qui au vu du contenu de son TAJ était inscrite au FINIADA alors que dans ses observations présentées au préfet, cette personne avait joint son examen psychiatrique établi par un professeur, médecin psychiatre et expert judiciaire, déclarant que cette personne incriminée se trouvait être dans la normalité et ne présentait aucun danger ni pour elle-même ni pour autrui.
Pour autant le préfet avec aplomb a répondu à cette personne que les informations fournies n’apportaient pas d’élément susceptible d’empêcher une inscription au FINIADA.

Le Préfet aurait-il la science infuse ?

L’existence d’un fichier des personnes interdites d’armes est une nécessité primordiale pour protéger la société, les personnes et les biens. Nous ne mettons pas en cause l’existence de ce fichier. Nous ne mettons pas en cause non plus le fait que le représentant de l’État garant de l’ordre public dispose du droit d’agir de façon très rapide et préventive en invoquant le principe de précaution.

Cependant, comme pour le permis de conduire, il serait intéressant, dans le cadre du respect des droits de la personne, que la procédure administrative actuelle appliquée selon le motif « personne présentant un danger pour elle-même ou pour autrui » soit « humanisée. » et surtout encadrée. Elle doit de toute manière être légale au risque de voir un préfet sanctionné par un Tribunal administratif, ce qui apparait infamant en soit lorsqu’on sait que le préfet est le représentant de l’Etat dans le département, sa vitrine, et le principal garant quotidien du respect du droit et de la loi sur le territoire départemental.

Ce que les justiciables attendent :

- Que le préfet en raison de faits passés ou présents prenne l’initiative d’une interdiction temporaire ne pouvant excéder 1 an renouvelable une fois le temps de mener une enquête contradictoire et transparente en procédure obligatoirement écrite et qui respecte les principes constitutionnels du droit de la défense..
- Qu’à l’issue de cette interdiction temporaire et de l’enquête contradictoire, le préfet sur des éléments concrets et probants puisse proposer puis procéder à une inscription au FINIADA pour une durée maximale de 5 ans (y compris la durée de l’enquête). Cette durée de 5 ans est la durée généralement appliquée par les tribunaux.

Le contrôle des propriétaires d’armes légaux est garant de la sécurité et de la tranquillité publique mais ne doit pas prêter le flanc à la suspicion d’une discrimination d’intention ou de comportement sans preuve.

Une sanction administrative doit être justifiée et proportionnée notamment dans sa durée sous peine de n’apparaître ni légitime ni acceptable aux yeux des citoyens.


Heureusement le Tribunal administratif donne souvent raison au requérant contre les décisions du préfet. Ce contre-pouvoir envers les décisions abusives du préfet est déjà une bouffée d’air, mais à quel prix !

Pour aller plus loin :
- Tous savoir sur le FINIADA
- Se faire effacer du TAJ (Traitement des Antécédents Judiciaires) ou du FINIADA (Fichier National des Interdits d’Acquisition et de Détention d’Armes).
- Le fameux article de Virgil : FINIADA, au bout du parcours, la réussite !.

Rel. LV-03/07/24


[1Art L312-3-1 du CSI créé par la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 - art. 23 ;

[2Alors même que lors de l’examen de la loi, qui a institué le TAJ, par le Conseil constitutionnel, ce dernier a pris le soin de rappeler que « lorsque ces données sont consultées dans le cadre d’enquêtes administratives, elles ne peuvent constituer qu’un élément de la décision prise par l’autorité administrative, sous le contrôle du juge »

[3Article L.312-16-2 CSI : « Toutefois, cette inscription peut être renouvelée, pour une même durée, par le représentant de l’Etat dans le département en considération du comportement du demandeur ou de son état de santé ou pour des raisons d’ordre public ou de sécurité des personnes. »