De la collection au musée
Musée de L’emperi, la quintessence de la collection Militaria en France
vendredi 29 novembre 2024, par
Quel collectionneur d’uniformes et d’armes anciennes n’a pas rêvé un jour de voir le fruit de ses patientes recherches et acquisitions devenir un véritable musée afin d’en faire profiter le grand public ?
Les frères Raoul et Jean Brunon sont les premiers à être allés au bout de ce rêve pour offrir aux Français un joyau : le musée d’art et d’histoire militaire du château de l’Empéri, à Salon-de-Provence, l’un des plus grands et des plus riches au monde sur le sujet. La trentaine de salles et les quelque 160 vitrines qui renferment les collections méritent assurément plusieurs heures, voire plusieurs jours,de visite.
Le musée de l’Empéri renferme incontestablement l’une des collections les plus riches au monde en matière Militaria. Celle-ci prend place dans un cadre prestigieux : le château de l’Empéri, à Salon-de-Provence, dont l’histoire remonte au Xe siècle. En effet, intégrée au royaume de Provence, la ville de Salon est, dès le IXe siècle, propriété des seigneurs archevêques d’Arles sous la suzeraineté des empereurs romains-germaniques, d’où le nom d’« Empéry » (ou Empéri pour « Empire ») conservé par la tradition pour désigner le château où ils résidèrent à plusieurs reprises au cours de leurs voyages dans la région.
Érigé au cours de la première moitié du Xe siècle sur les hauteurs du rocher de Puech qui domine la Crau, le château primitif de Salon ne prend son aspect quasi-définitif qu’au XIIIe siècle, si l’on excepte les adjonctions du XVIesiècle. Palais des archevêques d’Arles, il est également l’un des trois plus imposants châteaux-forts de Provence, antérieur d’un siècle à celui des papes à Avignon. La forteresse subit plusieurs sièges, notamment pendant les périodes troublées du XIVe siècle, avec les « grandes compagnies » - troupes d’aventuriers issues des armées licenciées qui occupent et pillent Salon en 1361 – et au cours des guerres de religion et de la Ligue à la fin du XVIe siècle. De par la position géographique privilégiée de la ville de Salon, nombreux sont les personnages illustres qui séjournent au château : les empereurs Conrad II et Conrad III, Frédéric-Barberousse aux XIe et XIIe siècles, François Ie et la reine Claude en 1516, Catherine de Médicis et ses fils venus consulter l’astronome et astrologue Nostradamus en 1564, LouisXIII en 1622 et surtout Louis XIV, Anne d’Autriche et Mazarin en 1660.
A la Révolution, après la mort du dernier archevêque d’Arles, Monseigneur du Lau, assassiné à Paris, le château de l’Empéri est déclaré « bien national » et acquis par la ville dont il demeure toujours la propriété.de la caserne au musée. En 1831, l’édifice sert de casernement pour les dépôts de l’armée d’Afrique. Sous le règne de Louis-Philippe et pendant le Second Empire, les dépôts des 4e, 62e et 8e de Ligne s’y succèdent ainsi avant que le château ne devienne, après 1875, la garnison des dépôts des 1e et 4e régiments de zouaves puis, à partir de 1901, celle d’un bataillon du 141e régiment d’infanterie. Partiellement détruite par le tremblement de terre de 1909, la forteresse est restaurée au cours des années 1920 pour y accueillir le musée du vieux Salon. Ce dernier est finalement transféré dans un autre local de la ville en 1967, année au cours de laquelle les collections d’histoire militaire Raoul et Jean Brunon, acquises par le musée de l’Armée, y sont transférées pour devenir l’actuel musée de l’Empéri.
Les frères Brunon
C’est l’histoire de deux frères, Raoul et Jean Brunon, deux jeunes garçons nés à Marseille et élevés par leurs parents dans le culte du passé et des traditions militaires françaises. En 1900, âgés de huit et cinq ans, ils ont déjà amassé dans la chambre à coucher de la maison familiale leurs premiers trésors, même s’il ne s’agit alors que de quelques livres, images d’Epinal, soldats de plomb et autres armes d’enfants. Au gré des fêtes et des étrennes, la petite collection s’accroît tandis que Raoul et Jean se révèlent de parfaits conservateurs en herbe. Un jour de l’année 1908, un oncle rouennais, le docteur Raoul Brunon, leur envoie une caisse contenant un fusil Chassepot, un shako de la Garde nationale sous Napoléon III, un bonnet de police d’infanterie, un casque bavarois de 1870 et quelques menus objets. Ce formidable présent constitue le noyau initial de ce qui allait constituer la plus formidable collection privée d’objets et de souvenirs militaires. Lorsque la guerre éclate en 1914, celle-ci comprend environ 200 pièces qui ornent les murs et les cheminées de leurs chambres.
La Grande Guerre
Raoul est le premier à partir pour le front, au cours de la bataille de la Marne, bientôt suivi par Jean, en décembre 1914. Tandis que Raoul est mobilisé dans les chasseurs alpins, Jean effectue, pour sa part, tout le conflit dans les rangs du 57e régiment d’artillerie de campagne et se distingue plus particulièrement à Verdun et lors de l’offensive victorieuse du 18 juillet 1918. Les deux hommes ne délaissent pas pour autant leur collection et profitent de permissions pour rapporter du front des souvenirs recueillis quelques semaines auparavant. Cette récolte est complétée à partir de 1919 par Jean, désormais seul – Raoul étant tombé au champ d’honneur le 23 octobre 1917 au cours de l’assaut du fort de la Malmaison –, qui s’astreint à plusieurs « pèlerinages » sur les champs de bataille encore fumants de la Grande Guerre. En 1935, la collection Brunon a atteint une ampleur considérable et son fondateur envisage de mettre enfin à exécution le projet qui lui tient à cœur et qui a depuis toujours dicté sa conduite : la création d’un grand musée militaire. Il est aidé dans cette tâche par le prince de Monaco et le maréchal Franchet d’Espérey qui en 1936 patronnent la nouvelle association des « Amis de la collection Raoul et Jean Brunon ». La déclaration de guerre de septembre 1939 vient pourtant à nouveau interrompre le projet
L’Etat se porte acquéreur
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la collection Brunon est déménagée pour être mise à l’abri des forces d’occupation à Fourquevaux, dans la région toulousaine. A la fin des hostilités, Jean Brunon continue sa collecte d’objets, notamment en Autriche et en Allemagne où certains trésors du patrimoine militaire français avaient été entreposés par l’ennemi.
Réinstallées à Marseille, les collections détenues par Jean Brunon, désormais secondé par son fils Raoul, sont régulièrement exposées en France comme à l’étranger au cours des années 1950 et acquièrent une renommée internationale. Cependant, la charge de leur entretien et de leur mise en valeur commence à devenir trop lourde pour leurs propriétaires et l’idée de transférer à l’Etat la responsabilité de poursuivre l’œuvre des Brunon fait progressivement son chemin. En 1963, Pierre Messmer, alors ministre des armées, se rend à Marseille pour y visiter les collections Brunon et prend conscience de l’intérêt qu’il y aurait à préserver un tel ensemble. Jean Francou, sénateur-maire de Salon-de-Provence, propose alors de faire prendre en charge les collections par sa ville et de les installer au château de l’Empéri. Ce n’est toutefois qu’en 1967 qu’un accord est conclu avec l’Etat, le musée de l’Armée recevant l’intégralité des collections transférées à Salon.
Des travaux de grande ampleur
Les travaux d’aménagement et de réhabilitation du château ne débutent pas avant 1973 et se révèlent d’une ampleur considérable. Entrepris par la municipalité de Salon, avec le concours des Monuments historiques et des Musées de France, ils se rapportent essentiellement au gros œuvre des bâtiments, au chauffage, à l’éclairage et à des équipements divers. La première salle est ouverte en 1976, Raoul Brunon étant nommé conservateur du nouveau musée et son père Jean, créateur des collections, conservateur honoraire. Celui-ci joue ainsi un rôle actif dans la mise en œuvre des premiers éléments muséographiques, jusqu’en 1982, année de son décès. Véritable fresque vivante de l’histoire militaire de la France, le musée de l’Empéri est aujourd’hui universellement connu et régulièrement sollicité pour participer à des expositions en France comme à l’étranger, notamment en Italie, en Allemagne, en Autriche, au Canada, aux Etats-Unis, au Japon, etc. Sa bibliothèque et son centre de documentation attirent, en outre, de nombreux chercheurs, enseignants, étudiants, amateurs éclairés et historiens.
Les armées royales et impériales
L’ancienne chapelle du château constitue la salle d’entrée et de réception du musée. Elle présente une intéressante collection d’armes et armures de haute époque, du XVIe au XVIIe siècle, ainsi qu’un historique du château. La visite du musée proprement dit débute avec un panorama exhaustif des armées françaises du XVIIIe siècle dans deux salles jumelles voûtées en arceaux brisés parallèles. Les principaux objets qui y sont réunis illustrent la formation des différentes armes et subdivision d’armes et retracent leur évolution au cours des règnes de Louis XV et Louis XVI suivant un plan qui est identique pour chaque époque : généralités, maison du roi, maréchaussée, infanterie, cavalerie, artillerie, génie, troupes de marine. La Première République, de 1792 au Consulat, occupe pas moins de quatre salles, dont une est consacrée à l’expédition d’Egypte et une autre aux deux campagnes d’Italie. Le Premier Empire, réparti sur cinq salles, constitue l’un des points d’orgue du musée. La première salle, consacrée aux différentes formations de l’armée napoléonienne, bénéficie du cadre de la salle d’honneur du château. La deuxième salle relate les campagnes victorieuses de 1803 à 1809 tandis que la troisième, plus petite, est centrée sur l’Empereur et ses proches. Les souvenirs des campagnes de 1812 à 1815 prennent place dans une des salles les plus vastes du château qui donne dans un cinquième espace, beaucoup plus petit, situé au premier étage de la grosse tour du château, où sont exposés des souvenirs de l’exil de l’Empereur à Sainte-Hélène ainsi que des objets, dessins et gravures de la légende napoléonienne.
De la Restauration à la grande Guerre
L’époque de la Restauration et de la Deuxième République est évoquée à travers deux salles dont une, très riche, plus particulièrement consacrée à l’armée d’Afrique et à la conquête de l’Algérie. Le Second Empire et ses uniformes flamboyants occupent à lui seul six salles. Les différentes compagnes de cette période sont longuement présentées à travers uniformes, objets, armements et équipements, qu’il s’agisse des campagnes de Crimée (1854-1855), d’Italie (1859), du Mexique (1862-1867) ou bien encore de la guerre franco-allemande de 1870-1871. Les collections de la Grande Guerre, pour leur part, autrefois thème de deux grandes salles, ont été pour la plupart reversées au musée de l’Armée, ce dernier aménageant ses nouvelles salles 1914-1918. Enfin, deux dernières salles, accessibles depuis le hall de réception, servent de cadre à la présentation de l’histoire des armes à feu françaises à travers une collection unique de plus de 230 mousquets, fusils, mousquetons, carabines, revolvers, etc.
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Voir aussi : - Raoul et Jean Brunon, combattants de la Grande Guerre, patriotes et collectionneurs ; |
- Petite histoire de la collection d’armes en France ; - L’histoire des armes. |