Lexique

Cartouches « Inertes », « Neutralisées », « à blanc »

Les pièges de la terminologie

jeudi 24 janvier 2019, par Erwan

JPEG - 14.1 ko
Quelques cartouches à blanc la seconde et la troisième sont des 8mm Lebel à balle en bois ou en papier, la quatrième une 30-06 en matière plastique teintée couleur or dans la masse, pour être utilisée pour le cinéma en donnant l’impression que les armes munies de bouchons de tir à blanc éjectent de véritables étuis, la cinquième est une 7,62 Otan en matière plastique rouge. La première à gauche à collet gaufré n’est pas une cartouche à blanc, mais une cartouche propulsive de 8mm Lebel dite « cartouche feuillette », utilisée pour le tir des grenades.

En matière de cartouches de collection, beaucoup de collectionneurs débutants mélangent joyeusement différents qualificatifs. Ceux-ci concernent des munitions qu’ils considèrent désigner des munitions qui ne sont plus actives et qui de ce fait sont, dans leur esprit, en vente et détention libres.

- Cartouches « à blanc » :
Il s’agit d’une munition uniquement destinée à faire du bruit. Les Allemands désignent ce genre de munition sous le nom de « Manöverpatronen » : cartouches de manœuvre : une appellation qui exprime bien que ce genre de cartouche est destiné à être utilisé pour des entraînements de terrain afin de simuler le bruit du tir, sans propulser de projectile [1].

JPEG - 10.6 ko
Cartouche feuillette de 8mm Lebel. « Feuillette » est le nom de l’inventeur de ce type de cartouche. Attention, comme elle sert à propulser une grenade, elle est classée en catégorie A2-5°.

La cartouche à blanc est donc libre à la détention. Certains intégristes jugeront que l’étui de la cartouche à blanc reste dans la catégorie d’origine de l’arme qui la tire. Pour les cartouches à balle en bois, l’étui est en théorie un étui de cartouche standard, qui est donc réutilisable, mais dans beaucoup de cas, ces cartouches étaient fabriquées avec des étuis de récupération, qu’il serait dangereux de réutiliser pour recharger une cartouche à balle à pleine charge. Les étuis des cartouches à blanc à collet gaufré, dont la partie avant s’ouvre sous l’effet du tir, sont souvent réalisés dans un métal peu résistant, ce qui fait que l’étui n’est pas réutilisable pour un autre usage. Quant aux cartouches en matière plastique [2], une fois tiré, leur étui n’est plus qu’un « résidu de tir » de piètre apparence, juste bon pour la poubelle.
- Cartouches « Neutralisées » : la règlementation actuelle a fort heureusement apporté une définition claire de la neutralisation des cartouches, qui pour être considérées comme telles doivent avoir leur étui percé d’un trou de 2mm et avoir leur amorce percutée. Les projectiles montés sur la cartouche restent par contre classés en catégorie A s’ils sont perforants, incendiaires ou explosifs. La neutralisation ne s’applique pas aux munitions d’un calibre supérieur à 20mm, qui restent classées en catégorie A, même si l’on en a retiré toute matière explosive.

PNG - 143.9 ko
Cartouches de 303 British neutralisées par perçage de l’étui et percussion de l’amorce. L’orifice présenté de façon visible dans la lame chargeur, facilite le contrôle..

-  Cartouches « inertes » : il s’agit de cartouches, qui dès leur sortie d’usine étaient dépourvues de charge ainsi que d’amorçage et dont le projectile est totalement inerte. Ces cartouches sont principalement destinées à montrer le fonctionnement des armes, sans faire courir de risques aux élèves en instruction. Elles portent généralement des signes distinctifs évitant toute confusion avec des munitions actives (cannelure, rainures, plaquages divers). Certaines cartouches inertes sont destinées à contrôler le bon fonctionnement des armes au sortir d’une réparation : elles présentent le même profil et le même poids qu’une cartouche réelle afin de tester les fonctions de chambrage, d’extraction et d’éjection mais leur aspect permet de les identifier clairement comme des cartouches inertes : on parle alors de cartouches « inertes lestées » ou de « cartouches-outils ». Ces cartouches inertes ne sont donc pas réellement des cartouches mais objets de mesure ou d’instruction et à ce titre, elles n’ont pas à être classée quel que soit leur calibre.

PNG - 176.5 ko
Obus inerte américain de 76mm : malgré son calibre, cette munition fabriquée en bois et en aluminium n’est pas classée. Ce genre d’obus figure fréquemment comme objet décoratif dans les maisons de collectionneurs. La fusée factice est en bois. Marquage « DUMMY CARTRIDGE » (cartouche factice) sur le culot.

Conséquences pour l’amateur

- Les cartouches neutralisées selon la procédure prévue par la règlementation [3] sont en catégorie D
- Les cartouches à blanc sont soit non classées soit de la catégorie de l’arme à laquelle correspond l’étui, si ce dernier est récupérable pour confectionner une munition à balle.
- Les cartouches inertes d’usine ne sont pas classées, y compris celles d’un calibre supérieur à 20 mm.

JPEG - 16.6 ko
Série de cartouches inertes d’usine : de gauche à droite : deux .30-06, deux 7,62mm OTAN, une 8mm Bofors et une 6,5x55 suédoises et une 5,56mm OTAN. Les fabricants s’attachent à rendre ces cartouches aisément différenciables par des cannelures ou des revêtements particuliers. Beaucoup de ces cartouches sont monobloc : ce ne sont plus des munitions mais des accessoires d’instruction.

Beaucoup de rechargeurs [4] se fabriquent des cartouches inertes, qui leur permettent de vérifier les réglages de leurs matrices de rechargement. Certains collectionneurs reconstituent des cartouches inertes pour vérifier le chambrage de leurs armes (ainsi une cartouche inerte de 8-340 Winchester et une cartouche inerte de 8x60S, permettront de vérifier immédiatement que le mousqueton Berthier ou la carabine K98k qu’ils convoitent n’ont pas été rechambrés dans ces calibres). Ces remontages sont réalisés à partir d’étuis dont la détention est autorisée mais leurs auteurs doivent être attentifs, à ce qu’aucun doute ne puisse subsister quant au caractère inerte de ces munitions. Nous conseillons donc de percer l’étui en plusieurs endroits et de laisser le logement d’amorce vide pour que ces cartouches puissent être identifiées au premier coup d’œil comme des munitions inertes.

D’autre amateurs d’histoire militaire, reconstituent des cartouches non chargées pour garnir leurs cartouchières de lames-chargeurs réalistes lors des reconstitutions historiques. Le bon sens consiste là aussi à percer les étuis et à laisser le logement d’amorce vide pour éviter toute confusion et pour rassurer immédiatement les forces de l’ordre en cas de contrôle.

La plupart des amateurs d’armes connaissent tout cela, mais l’ambiguïté qui subsiste dans la rédaction de certaines annonces de vente oblige à re-préciser les choses. Ainsi, proposer à la vente un obus de .30mm Neutralisé constitue une infraction à la loi, alors qu’un obus de 30m Inerte n’est qu’un objet décoratif en matière plastique ou en métal non précieux, dont la détention est tout à fait libre.
Comme on le voit : le classement de ces munitions a première vue inoffensives comporte des pièges. On ne peut que souhaiter que les vendeurs fassent preuve d’une plus grande rigueur dans les appellations qu’ils utilisent dans leur annonce et que les représentants de la loi chargés de contrôler bourses aux armes et reconstitutions fassent preuve d’un simple bon sens en ne saisissant pas des objets dont le détournement est très improbable.

JPEG - 16.5 ko
De gauche à droite, quelques obus de « moyen calibre » inertes : 20x101mm, 20x111 Mk5 mod0, 30x119n 25x141. Les deux derniers, bien que leur calibre soit supérieur à 20mm, ne sont pas classés car leur architecture s’écarte totalement de celle d’un obus neutralisé.


Définitions de l’article R311-1 du CSI.


- 21° Elément de munition : partie essentielle d’une munition telle que projectile, amorce, douille, douille amorcée, douille chargée, douille amorcée et chargée ;

- 22° Munition à projectile expansif : munition dont le projectile est spécialement façonné, de quelque façon que ce soit, pour foisonner, s’épandre ou champignonner à l’impact. Entrent notamment dans cette catégorie les projectiles à pointe creuse ;

- 23° Munition à projectile explosif : munition avec projectile contenant une charge explosant lors de l’impact ;

- 24° Munition à projectile incendiaire : munition avec projectile contenant un mélange chimique s’enflammant au contact de l’air ou lors de l’impact ;

- 25° Munition à projectile perforant :
a) Munition pour arme d’épaule, avec projectile identifié visuellement le cas échéant par un code couleur, contenant un noyau dur en acier trempé ou en carbure de tungstène ;
b) Munition pour arme de poing, contenant un noyau dur en acier trempé ou en carbure de tungstène ;
c) Munition pour arme de poing, avec projectile métallique monolithique ou monobloc conçu pour perforer un gilet pare-balle souple (aramide ou équivalent) en dotation réglementaire au sein des forces de sécurité intérieure ;

- 26° Munition neutralisée : munition dont le projectile a un diamètre inférieur à 20 mm et dont la chambre à poudre présente un orifice latéral d’un diamètre au moins égal à 2 mm ne contenant plus de poudre et dont l’amorce a été percutée.
Les munitions à chargement d’emploi particulier, explosives ou incendiaires, restent dans tous les cas réputées fonctionnelles ;

Avant 2018, la règlementation stipulait que la neutralisation des cartouches devait être réalisée par un armurier. Cette obligation n’ayant pas été reprise par le décret du 29 juin 2018, nous attirons l’attention des collectionneurs sur les risques non négligeables d’accident, que peut faire courir le percement d’un étui encore plein de poudre. Au contact de l’étui, le foret dégage de la chaleur, tout spécialement quand on perce des étuis en acier. Cet échauffement peut enflammer la poudre contenue dans l’étui : mieux vaut donc dessertir proprement les projectiles et vider les étuis avant de les percer. On voir ici le résultat d’une tentative de neutralisation d’une cartouche de 6,5x53 R hollandais par un amateur (non éclairé semble-t-il), dont le foret mal aiguisé a trop chauffé l’étui et a mis feu à la charge de poudre. Heureusement, la cartouche était dans un étau et la poudre un peu humide s’est enflammée, a fusé, mais n’a pas explosé. En outre, le bricoleur portait des lunettes qui ont protégé ses yeux des éclats de métal et des particules de poudres projetées en l’air !
Et voici le stock d’un reconstitueur.

[1Ce qui n’est pas toujours totalement exact, car certaines cartouches à blanc anciennes sont dotées d’une balle en bois creux (balsa, sureau) qui se volatilisent au moment du tir. Toutefois, ces particules de bois sont dangereuses à distance immédiates de la bouche.

[2Ce n ’est pas toutefois le cas des cartouches propulsives, utilisées pour le tir des grenades à fusil, qui relèvent, elles de la catégorie A2-5°.

[3La réglementation prévoit que cette opération de perçage doit être réalisée par un armurier. Elle n’est pas sans danger, tout particulièrement avec les cartouches à étui acier. Plusieurs collectionneurs ont été blessés, parfois gravement, aux mains, après avoir tenté de percer un étui en acier. Ce métal est beaucoup plus dur que le laiton, ce qui a provoqué une surchauffe au contact du foret et a entraîné l’inflammation et l’explosion de la poudre contenue dans la cartouche

[4Certains collectionneurs font de même pour vérifier les chambrages. Ainsi une cartouche inerte de 8-348 Winchester et une autre de 8x60S permettront de vérifier en quelques secondes que le superbe Lebel ou le magnifique Mauser 98 que vous croyez avoir acheté en calibre d’origine n’a pas été rechambré !