Caraïbes : les préfets tentent de retirer les armes avec maladresse

vendredi 26 mai 2023, par Jean-Jacques BUIGNE fondateur de l’UFA

Depuis lundi matin, nous sommes assaillis par des amateurs d’armes outrés qui se transforment en lanceurs d’alerte. Le sujet prend une telle ampleur, qu’il nous paraît opportun de se pencher dessus sur le plan juridique.
Tout est parti de l’arrêté pris par le préfet de Guadeloupe portant sur l’interdiction pour 6 mois de la vente ou la détention de plusieurs catégories d’armes, dont les armes anciennes. Cette interdiction relayée par l’AFP a fait la une de toute la presse. Voir par exemple france info.

La situation

Sous le soleil des Caraïbes, il existe une insécurité liée aux armes à feu. Et le préfet de la Guadeloupe semble persuadé que des filières existent pour importer et modifier des armes non létales, en vente libre.

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Tel qu’est rédigé l’arrêté du préfet de Guadeloupe, pour votre sécurité, ce pistolet à rouet vers 1580 est interdit à l’achat, la vente et il faut un motif légitime pour le transporter.

Il a décidé d’interdire l’acquisition, la vente et la cession des armes à feu non létales (catégorie C3° [1]) mais aussi des armes anciennes d’un modèle antérieur à 1900 de catégorie D§e). Dans la foulée ; il interdit également les répliques d’armes anciennes (catégorie D§f), les armes de la liste complémentaire (catégorie D§g), les armes d’alarme de catégorie D§i) et les munitions pour armes anciennes de catégorie D§j). Y compris les achats par internet et cela jusqu’au 16 novembre 2023.
Sur place, il n’y a que peu d’armuriers qui vendent des armes pour les tireurs sportifs ou les collectionneurs. Les acquisitions se font presque exclusivement par correspondance, avec les problèmes que l’on connait pour les sociétés de transports aériens qui n’aiment pas les armes et radiographient les colis.

Le préfet prend soin de préciser que les titulaires du permis de chasser, validé ou non, d’une licence sportive en cours de validité peuvent continuer à acquérir ou vendre ces armes. Il oublie les titulaires de la carte de collectionneur.
Déjà le préfet de la Martinique avait indiqué dans un arrêté de 2022, que les armes d’alarme se vendent vite, trop vite lors de l’arrivée d’une commande chez l’armurier et que, bien qu’acquises légalement, elles se retrouvent rapidement sur le marché parallèle. Puis il avait pris un second arrêté d’interdiction pour les armes de catégorie C et D. Dans son arrêté, le préfet de la Guadeloupe n’a simplement fait qu’un copier-coller du dernier arrêté martiniquais.

Les armes d’alarme : Depuis 2018, les armes nouvellement vendues doivent comporter le poinçon « PTB » qui atteste qu’elles ne sont pas transformables en garantissant un certain nombre de critères techniques et d’emplois de matériaux [2]. Et celles qui ne répondent pas à ces normes sont surclassées en B par différents arrêtés. Bref, il ne sert a rien de prendre des arrêtés redondants, il suffit simplement d’appliquer la loi.

Focus :
Le préfet vise les filières, c’est à dire des particuliers qui exercent illégalement la profession d’armurier. Mais il s’attaque aux honnête gens qui ont déclaré leur arme. Cherchez l’erreur.
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Portée de cette interdiction

Ainsi, il reste possible de détenir des armes létales et des armes de catégorie D, Mais, d’après l’arrêté, il n’est plus possible de les acheter ou de les vendre.
Il est aussi interdit de les transporter sans motif légitime. Le motif légitime reconnu étant le déplacement vers les installations sportives, les lieux de chasse ou l’armurerie.

Par contre, l’arrêté du préfet oblige au dessaisissement, les détenteurs d’armes et munitions pour lesquels une licence sportive a été présentée pour leur acquisition, et qui n’est plus valide aujourd’hui, sauf s’ils sont titulaires d’un permis de chasser même non validé [3].
En suivant la lettre de l’arrêté, ce sont bien les armes acquises avec les titres sportifs qui sont désignées et non pas certains paragraphes de la catégorie C.
L’écriture de l’arrêté fait que certaines armes normalement non concernées, ne nécessitant qu’un certificat médical de moins d’un mois comme les C3° (non létal) ou C9° (neutralisées), le deviennent si l’acquéreur a fait le choix de présenter sa licence, qui supplée le dit certificat médical, pour leur déclaration :« en matière pénale, les textes sont d’application stricte. »

C’est une grande première parce que jusqu’à présent une arme déclarée l’était pour la vie même après l’arrêt d’une pratique sportive. Donc ne sont pas touchées les armes déclarées avec un autre justificatif que les titres sportifs. Comme les armes héritées ou trouvées qui n’ont nécessité qu’un certificat médical. Aussi les armes à canon lisse détenues depuis avant le 1er décembre 2011 et qui ne sont pas déclarées. Également toutes les armes de la première période de déclaration des années 1993-1998.
Mais l’arrêté va encore plus loin, il touche également les catégories C2° (éléments d’armes) C6°, C7° et C8° (munitions), puisqu’il a fallu produire un titre sportif pour les acquérir. Cela est plutôt cocasse alors que par ailleurs l’article R312-63 du CSI autorise la détention de 500 munitions sans détenir l’arme. Et n’importe quel enfant de primaire connait la hiérarchie des textes : un arrêté ne peut pas interdire ce qu’un décret autorise !

L’égalité des citoyens devant la loi est complètement bafouée !

Qu’en est-il de la légalité

De façon globale, le Code général des collectivités territoriales permet aux autorités de « prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité ».
D’ailleurs le Code de la Sécurité Intérieure prévoit également : « Le représentant de l’État dans le département peut, pour des raisons d’ordre public ou de sécurité des personnes, ordonner à tout détenteur d’une arme, de munitions et de leurs éléments de toute catégorie de s’en dessaisir. »
Ce qui est curieux dans cette mesure préfectorale est l’emploi des articles de la loi sur le dessaisissement pour une mesure temporaire de 6 mois. Il y a une forme d’incohérence !
Pire encore, l’article 4 de l’arrêté préfectoral interdit le transport des munitions de catégorie D§j) alors qu’il est expressément autorisé par un autre texte de portée nationale.

On atteint le summum de la loufoquerie quand on constate que dans l’énumération des textes cités en début d’arrêté, figure l’article L5531-21 du code des transport qui ne traite pas d’armes mais d’état alcoolique pour le personnel maritime. Rien à voir avec le sujet des armes. Ce n’est pas sérieux du tout et n’importe quel tribunal administratif retoquerait un texte aussi mal fichu !

En résumé, les parlementaires vous assurent que vous êtes bien propriétaire de vos armes, mais en réalité, l’État s’arroge le pouvoir de les retirer n’importe quand et à n’importe qui ! Beaucoup le savaient pour la catégorie B, ils le découvrent pour la C.

Condemnant quod non intellegunt
(Ils condamnent ce qu’ils ne comprennent pas).

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Les sources :
- Arrêté du préfet de Guadeloupe du 15 mai 2023, il fait référence à l’arrêté du préfet de Martinique du 3 octobre 2022 ;
- Arrêtés du préfet de Martinique du 3 octobre 2022 et du 27 juillet 2022 ;
- Question orale du sénateur de Guadeloupe Dominique Faure qui interpelle la ministre lors de la séance publique du 17 mai 2023 ;
- Le Code Pénal interdit la modification d’une arme qui en change la catégorie ;

Rel. L-27/05223


[1Il s’agit des armes : Manurhin punch Pocket, calibre 35 mm, des pistolets SAPL GC 27, GC54 et Soft Gomm, du Safegom cal 11,6 mm et magnum de chez Humbert, du Flash-Ball compact de Verney-Carron et du King Cobra d’Europ’Arm ;

[2A noter que les armes non « PTB » déjà détenues avant 2018 peuvent être conservées sans formalité, sorte d’autorisation viagère ;

[3Pour ce dessaisissement l’arrêté cite l’article R312-74 du CSI qui prévoit une procédure contradictoire qui n’est pas prévue par l’arrêté.