Le revolver Lefaucheux de marine modèle 1870

dimanche 10 novembre 2019, par Marc "Closdelif" Barret

Ce fut la marine française qui allait adopter, pour la première fois au monde, en 1858, un revolver à cartouches métalliques : le modèle 1854 du fabricant réputé Lefaucheux. Cette aventure allait avoir une suite !

Histoire et développement 

Techniquement parlant, cette arme n’avait rien de révolutionnaire et reprenait assez fidèlement l’organisation du Colt 1851 en la rendant plus rigide grâce à une amélioration dans la conception de la console du canon qui se prolongeait jusqu’au rempart. Bien qu’Eugène Lefaucheux fut en admiration devant le génie de Samuel Colt, cela ne l’empêcha pas de frapper un grand coup en adaptant le modèle initial au chargement par l’arrière et à la cartouche métallique : la fameuse cartouche à broche [1] invention de son père Casimir justement, dans le même calibre que son modèle, le puissant .45 ou 12 mm. Ce revolver révolutionnaire (modèle 1854), est admis à participer aux essais de la marine française dès le 16 septembre 1854, en concurrence avec des systèmes Colt et Adams. Il s’ensuivit son adoption par la marine le 8 mai 1858. Lefaucheux vendit donc le brevet à la Manufacture Impériale de St. Etienne et la fabrication put commencer très rapidement pour un prix de revient de 33 à 36 francs [2]. L’arme est imposante mais pas disproportionnée, qu’on en juge : longueur hors tout : 295 mm pour un canon de 155 mm. Poids : 1 090 grammes. Calibre réel sur le dos des rayures : 10,7 mm (avec un pas de 1 500 mm) et six coups.

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Le 1870 N vu de droite.

La technique évoluant très vite, E. Lefaucheux reçoit quelques années plus tard (23 mars 1868), une nouvelle demande de la marine pour 4 000 revolvers qui, après différentes évolutions, seront adoptés en 1870 en tant que revolvers à cartouche métallique et percussion centrale. Ce contrat définitif du 10 février 1870 ne sera réalisé qu’en 1872 sous la troisième république. Ces armes massives (carcasse monobloc en fonte malléable), et à simple et double action, donneront entière satisfaction à la marine qui, tout en souhaitant quelques modifications de détail, en commandera 4 000 autres à Lefaucheux dès le 24/09/1873. Malheureusement pour lui, il rajoute à son prix initial de 40 francs par arme le coût des modifications pour arriver à un devis de 45 francs.

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Le 1870 N vu de gauche

Suite au refus brutal et définitif du ministère et rupture du contrat, c’est donc la M.A.S, en tant que manufacture d’État, qui hérite de la commande. Mais sur place, rien n’est prévu et surtout la maîtrise de la réalisation de la fonte malléable n’est absolument pas acquise, et ce n’est qu’après des difficultés sans nombre que les premiers exemplaires furent livrés…en février 1875, avec des carcasses en acier forgé, mais au prix unitaire de 65,88 francs ! Ces armes, connues vous le nom de
« revolver de marine modèle 1870 N » sont donc toutes issues de la M.A.S. (Manufacture d’armes de St Etienne, à ne surtout pas confondre avec la manufacture d’armes et cycles, entreprise de droit privé).

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Les marquages vus de dessus (cage de barillet).

La production totale documentée (source TCAR), se résume en 3 806 armes commercialisées entre février et décembre 1875, il est cependant probable que les 194 manquantes aient été livrées dans l’année suivante, d’autres sources nous indiquant un total de 4 008 armes réalisées ! Nous remarquerons avec amusement que ces revolvers sont finalement postérieurs à la production du modèle 1873 Chamelot & Delvigne (1874).

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Détails carcasse gauche.

Un exemplaire précoce 

C’est donc un exemplaire de cette seconde commande, magnifiquement fabriqué en février 1875 (N°79), que je me propose de vous faire découvrir aujourd’hui, un Lefaucheux 1854, le modèle « Corto ». Voici les principales caractéristiques de l’arme en question : longueur totale 240 mm avec un canon de 123 mm avec un pas de 1240 mm ; six coups. Poids : 1 035 grammes. Calibre 11,1 mm (sur le dos des rayures, contre 11,7 à fond), poids de la balle 12,8 grammes pour une vitesse initiale de 215 m/s. (on remarquera que le canon de ce modèle est nettement plus court que celui de son prédécesseur, ce qui contribue à lui donner un aspect très moderne). Une autre caractéristique remarquable de ces revolvers est leur finition poli blanc faite de courbes et d’arrondis ; le Lefaucheux 1870 était déjà de forme assez arrondie, la MAS a accentué cela pour la production de ce 1870 N qui se démarque donc encore plus des lignes anguleuses des 58 et des 1873 (74) contemporains.

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Détails carcasse droite.

Les marquages visibles de l’extérieur

- Carcasse, face gauche, au niveau de la console de canon : 79, le numéro de série, et les lettres M et J cerclées, la première pour le général Maignien, directeur de la MAS de 1873 à 82, et la lettre J, utilisée en 1874 par le contrôleur principal.
- Carcasse, dessus de l’arme, cage de barillet, malheureusement partiellement effacés mais encore lisibles sur cet exemplaire, sur deux lignes : MODELE 1870, et en dessous : MODIFIE N.
- Carcasse, pied de console droit devant le pontet : théoriquement le numéro de série ; illisible ici !
- Carcasse, console du canon à droite : deux toutes petites lettres dans un écusson étoilé et un cercle, probablement des L : sans doute pour Luneteau, contrôleur de première classe en 1875, dans l’écusson, et Lacroix, contrôleur de seconde classe en 1875 aussi, dans le cercle.

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Le barillet.


- Carcasse, calotte de poignée : une ancre de marine et un numéro dont la signification n’est pas certaine : 4 593 ; peut-être un numéro de râtelier.
- Carcasse ; sous la portière de rechargement : deux lettres et deux chiffres. La portière par elle-même porte le numéro de série précédé d’un A (face avant).
- Carcasse ; juste à l’arrière de la portière le très petit L dans un cercle.
- Canon : le poinçon du ban d’épreuve ; le E couronné avec une petite lettre F( ?) dans un cercle.
- Barillet : face avant, le numéro de série 79 précédé d’un A, sur la périphérie ; le poinçon d’épreuve à nouveau, et le numéro de série.

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Le guide de baguette.


- On trouve aussi des petites lettres difficilement lisibles et partiellement effacées, sur le pontet, l’axe de barillet, le guide de baguette (qui porte aussi un grand M). J’ai aussi pu manquer d’autres marquages plus ou moins disparus sur cet exemplaire

Les manipulations

Elles sont classiques et assez intuitives : ouvrir la portière de haut en bas pour accéder aux chambres. Mettre le chien au second cran afin de pouvoir tourner librement le barillet et mettre les six cartouches dans les chambres. Le tir en simple action présente un départ très léger et régulier, la double action par contre est très dure et difficile à maîtriser. Pour vider le barillet après le tir, le chien doit aussi être positionné au cran de sécurité, il suffit ensuite d’appuyer légèrement sur le verrou de baguette situé à l’extrémité de son guide pour pouvoir la faire coulisser sans difficultés et éjecter les douilles tirées qui ne collent en outre absolument pas aux chambres.

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Le verrou d’axe de barillet.

Pour extraire le barillet, il faut d’abord tourner le verrou d’axe légèrement vers la gauche ; cette opération permet de sortir facilement l’axe dont la tête est moletée à cet effet…enfin sortir le barillet par la droite, portière de chargement ouverte.

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La portière de chargement.

On accède au mécanisme (fort simple) en ôtant les plaquettes retenues par deux vis. L’arme ne comporte pas de portière permettant d’accéder à la platine, en cas de problème, il faut donc enlever les vis de la gâchette, de la détente et du chien après avoir détendu et démonté le ressort principal. Enfin, la prise en main est très agréable (bien plus que celle des 1873/74 et 92) et la visée de taille convenable et relativement facile à reproduire bien qu’elle soit très arrondie, ce qui ne facilite pas la régularité.

Le tir (plomb)

Je me suis contenté de charger l’arme avec ma recette habituelle, à savoir des douilles de 44 magnum (ou de 44-40 au choix) recoupées et des balles à culot rétreint venant de l’armurerie Briano (j’en avais acheté un stock suffisant). La charge officielle est de 0,8 grammes de poudre noire fine, mais d’autres solutions existent, probablement prohibées en France, je ne les aborderais donc pas ici… Le tir s’effectue à 25 mètres, à simple action et à bras franc (à double action, le départ est vraiment très dur et il faut se limiter à 7 mètres environ pour espérer toucher la C 50 régulièrement). Au niveau précision, on peut atteindre assez régulièrement le visuel en effectuant une contre-visée car l’arme porte bas. Le fonctionnement est régulier et je n’ai pas eu à déplorer d’enclouage ni d’étuis difficiles à extraire.

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L’arme, plaquettes enlevées ; vue sur le mécanisme à double action.

Le tir réduit « non létal » (diabolos plastique souple H&C).

- Préparer des douilles de 44-40 en les recoupant à 18 mm, élargir le puits d’amorce au diamètre 3,5 mm afin de faciliter l’inflammation. Il est nécessaire aussi d’amincir légèrement le bourrelet afin qu’il rentre complètement dans la mince feuillure de l’arme.
- Amorcer avec une Large Rifle et doper un peu le chargement au papier flash sans quoi la vitesse est franchement insuffisante.
- Enfoncer un diabolo plastique H&C à mi hauteur dans la douille : c’est prêt !
Grâce à cette recette, vous pourrez ensuite vous amuser presque sans bruit et pour une somme vraiment modique ; les diabolos étant garantis pour une centaine de coups…mais en réalité, ils semblent vraiment indestructibles ! Afin de ne pas les perdre rapidement, et de pouvoir tirer en intérieur (10-15 mètres), vous devrez aussi réaliser un piège à balles très simplement à base de carton, contreplaqué mince et lanières de plastique (plans disponibles sur le site H&C). Nota : l’arme tire très bas avec ce type de chargement ; il est nécessaire de viser le haut de la C 50.

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Munitions utilisées lors de ces essais

Conclusion

Ces armes magnifiques et peu connues font honneur à nos inventeurs et à notre industrie armurière. A l’usage, elles ne déméritent absolument pas en face d’un Colt ou un S&W de la même époque. Leur grande rareté contribue à une cote assez élevée, mais pourtant leur achat reste presque plus accessible que les modèles U.S. Pour ma part, je ne suis pas tout à fait satisfait de mes essais au tir, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur : un peu de bricolage et d’astuce permettant de bien profiter de ces survivants d’une autre époque ! 

Sources :
- Eugène Lefaucheux et les productions des modèles d’Eugène Lefaucheux par Guillaume Van Mastrigt, (acheter),
- La grande famille des Lefaucheux, père & fils, Site Internet,
- Quelques membres érudits du forum TCAR.
- Armes à feu françaises modèles réglementaires 1833-1918 par Jean Boudriot, P Lorain et R. Marquiset - Editions du Portail. (Epuisé)

[1Cartouche à broche : brevets N° 6348 et 6387 du 7 janvier 1835 du sieur Casimir Lefaucheux.

[2Mr Lefaucheux avait demandé 60 francs par arme au cas où il les produirait lui-même. Finalement, il obtient pour chaque arme fabriquée en manufacture d’état : 15 francs pour les 1 500 premières ; 10 francs pour les suivantes jusqu’à hauteur de 3 000 exemplaires au total ; 10 francs pour toutes les armes construites en plus.