Gilles Sigro : parole d’Armurier

vendredi 28 juin 2019, par lionrobe

On ne présente plus Gilles Sigro, armurier toulousain célèbre, dans son antre voué à la présentation et au sauvetage notamment des armes anciennes pour lesquelles son érudition a dépassé nos frontières.
L’UFA a donc souhaité l’interroger sur les spécificités de son métier au quotidien et ses évolutions notamment au regard de la nouvelle réglementation

L’atelier Saint-Etienne

- UFA/ Bonjour, Gilles Sigro, d’abord, la boutique : l’atelier Saint-Etienne, une vieille dame ? Qui y travaille aujourd’hui ?
GS/ Bonjour, non, après avoir été l’employé de Mme Bouffil à l’ " Arquebuserie ", j’ai créé ma propre armurerie au 27 rue du cimetière à Toulouse en 1993, dans un ancien local d’import d’export.

- UFA/ Qui y travaille aujourd’hui ?
GS/ Aujourd’hui, à part les stagiaires que reçois autant que possible, je n’ai plus d’employé, ayant du réduire en partie mon activité pour raisons de santé. Je m’occupe de la boutique de 10h à 12h, après avoir géré l’expédition des colis, la comptabilité… .l’après-midi est consacré à la restauration des armes, les expertises.

- UFA/ Pourquoi atelier et pas armurerie ?
GS/ J’ai voulu faire référence aux travaux que je propose plutôt qu’au commerce. Et puis également par discrétion vis à vis des envois de colis, environ 25 par semaine, que j’évite d’expédier le vendredi…
Et puis Saint-Etienne, c’est aussi la ville de mes études, le quartier dans lequel se trouve l’armurerie « d’avant... » 

- UFA/ On trouve quoi, dans la boutique ? la vente de poudres vives et PN ? Autres composants, matériels de rechargement ? En stock permanent ? La vente en ligne également ?
GS/ Pas du tout, mon local n’est pas équipé pour conserver des composants selon les dernières normes en vigueur, et pour la vente en ligne je n’ai pas l’espace suffisant pour gérer des stocks de manière rentable. Par contre, j’ai un important stock de pièces détachées que j’avais racheté à des confrères partis à la retraite, ce qui est bien utile pour sauver certaines armes.

- UFA/ Beaucoup d’armes en vente, mais pas présentes dans l’armurerie ?
GS/ Si, je dispose d’un local parfaitement sécurisé sous l’armurerie.

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Le Mauluger ou comment sauver 2 armes de la destruction

- UFA/ Donc, l’atelier, c’est de la réparation ? Mais aussi parfois du custom sur des armes irrécupérables, il y a un célèbre « Mauluger » ?
GS/ Aujourd’hui, toujours pour des raisons de santé, il ne m’est plus possible de pratiquer certaines interventions dans mon atelier au sous-sol, et je me déplace dans l’armurerie SDS de mon ami Jean-Paul Sape à Sainte-Foy-de-Peyrolières pour les réaliser.

- UFA/ Et ce sont aussi les essais des armes réparées ou préparées au stand, et même de la reconstitution, il y a une vidéo quasi virale sur la toile avec un Tankgewehr en action ?
GS/ Tout à fait, mentionnons également l’essai d’une canardière

- UFA/ Tout ceci, c’est un savoir-faire à transmettre, mais à qui ? Auriez-vous des conseils pour un futur armurier le jour de la reprise de l’enseigne ?
GS/ Précisément, dans ma relation avec l’armurerie SDS, il y a ce volet de transmission de mon savoir pour les armes anciennes. Egalement, je reçois 2 stagiaires en ce moment, et je suis heureux de voir qu’il y a toujours des jeunes motivés et brillants pour vouloir apprendre le métier.

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Restauration d’un Campo-Giro

L’expertise

- UFA/ Et hors de l’armurerie, une autre vie commence, déjà les ventes aux enchères, en tant qu’expert pour les salles de vente ? Et ça va consister en quoi, cette relation ? Qualifier la catégorie de l’arme, son état, examiner les documents ?
GS/ Oui, la catégorie, bien sûr, Ensuite, même pour la catégorie D, la CNI de l’acheteur est un document nécessaire pour prouver qu’il est majeur ! Pour la catégorie C, je suis de par les nouveaux CERFA devenu le « contrôleur de la validité de la transaction ».
Par exemple, je reçois en boutique un fusil Mauser d’un particulier, je dois lui retourner un CERFA à renseigner qui devra notamment porter sa signature qu’il va me renvoyer, je vais à mon tour adresser ce CERFA à l’acheteur qui devra porter les informations qui le concernent également, le signer et m’en faire retour avec copie de la licence de tir ou permis de chasse valides. Je vérifie enfin que la personne n’est pas inscrite au FINIADA. A ce moment là seulement, je vais pouvoir lui expédier l’arme.
De fait, pour une salle des ventes, la transaction pour une catégorie C relèvera des mêmes 4 phases, la vente immédiate avec inscription sur le registre de police de la salle des ventes et l’interrogation simultanée du FINIADA ne sont plus suffisantes. Tout ceci prend du temps, ce qui explique que contrairement à la catégorie D, la vente d’une arme de catégorie C de faible valeur n’est intéressante pour personne. Cette pesanteur contribuera à laisser dans le néant administratif des quantités d’armes fonctionnelles mais sans intérêt particulier qui vont muter directement entre particuliers.

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On en cancane encore dans le marais

- UFA/ Et combien de vacations par an, environ ? Beaucoup de travail administratif avec les services de la Préfecture ?
GS/ Je collabore avec 5 des 6 salles de vente toulousaines. 9 évènements en 2018, 3 déjà programmés en 2019. Je suis aux côtés du commissaire-priseur, c’est moi qui décris les lots et garantis leur état. J’ai la responsabilité trentenaire de ma description, pour laquelle je suis assuré. Je ne certifie d’original une arme ou un objet militaria qu’avec une certitude absolue. J’assure bien sûr la description dans le catalogue réalisé par la salle des ventes, en moyenne une trentaine d’heures de travail. La boutique le matin, l’expertise l’après-midi.

- UFA/ Etes-vous expert judiciaire également ?
GS/ Effectivement, mais je n’ai postulé que dans le volet identification de l’arme ancienne employée, et pas son usage, la balistique, les blessures...de crainte d’être associé à une erreur judiciaire, on a vu des experts se contredire….

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- UFA/ Etes-vous parfois aussi expert pour l’armement embarqué sur des véhicules militaires ? Etes-vous consulté par des associations comme la FPVA ? Pour des reconstitutions ? Par exemple la vente du 18 décembre de véhicules militaires anciens ?
GS/ Pas de relations à ce jour avec des associations ni de participation à des reconstitutions. Il y a bien la photo d’un engin militaire sur mon site pour une vente aux enchères le 18 décembre dernier, mais c’est exceptionnel, même si j’ai pu par le passé être partie prenante de la vente du Musée de Royan. De fait, je m’intéresse à beaucoup d’autres éléments de patrimoine que les armes proprement dit, comme le militaria en général, uniformes, insignes, car j’ai quelques spécialités….

- UFA/ Et toutes ces connaissances accumulées, c’est une énorme bibliothèque personnelle ?
GS/ Oui ! J’ai 3 bibliothèques, domicile, maison de campagne, atelier..à peu près trois mille ouvrages, une partie de ces ouvrages provenant de dons de familles de clients décédés. Avec la mémoire du contenu de ces ouvrages pour vérifier que les informations fournies par Wikipedia et les vieilles revues spécialisées sont exactes, on peut identifier très vite avec certitude beaucoup d’armes, alors qu’avant le web, Il fallait prendre des photos plus ou moins réussies, les adresser à l’étranger, attendre le retour du correspondant….ça prenait 2 mois, parfois !

- UFA/ Et aussi peut-être grâce à la fréquentation des forums ? Vous lisez des sujets ? Vous en ouvrez parfois ?
GS/ Non, je ne fréquente pas les forums, mais j’échange beaucoup en direct avec de nombreux collectionneurs. Je n’aurais d’ailleurs pas le temps, la simple gestion de mon site génère une trentaine de messages par jour. C’est une espèce de forum interne...

- UFA/ Pour ce que vous en savez, les forums sont-ils plutôt utiles à votre profession, avec les conseils aux particuliers qui découvrent des armes ou en héritent ?
GS/ Il m’arrive de trouver sur certains forums des articles d’une grande qualité sur des sujets complexes, mais c’est aussi beaucoup le café du commerce, avec son lot d’énormités et de sarcasmes voire d’agressions, dont je m’éloigne le plus possible.
- UFA/ Et tous les tutoriels de rechargement et de restauration ?

GS/ Tout ce qui va en faveur de la connaissance permettant de sortir les armes de leur ghetto a ma bénédiction ! Il faut partager, j’ai écrit un opuscule permettant de comparer les techniques anciennes et modernes de traitement des métaux, eh bien il est recommandé de le lire dans les écoles d’armurerie. Par contre, mon lexique franco-espagnol des termes armuriers ne passionne pas grand monde (sourire).

- UFA/ Vous-même avez un pied dans le monde associatif, il y a un stand qui place votre enseigne en tête de son site, est-ce le stand qui vous accueille pour vos essais ?
GS/ Non, les essais d’armes se déroulent dans le stand privé d’un ami, à une soixantaine de kilomètres de Toulouse. Sinon, vous voulez parler des
« Mousquetaires gascons » ? J’en suis le président…il s’agit de copains, mais ils ne disposent que d’installations précaires, un 10 m et aussi ailleurs un 200 mètres dont ils n’usent qu’une fois par mois pour limiter la nuisance.

- UFA/ Les responsables vous-ont ils parlé des difficultés qu’ils rencontrent avec les nouvelles modalités du tir d’initiation ?
GS/ La question ne se pose pas vraiment, pas de demandes d’adultes et uniquement des enfants pour le 10 m. Mais je sais que pour les stands toulousains, il y a maintenant beaucoup-trop- de contraintes administratives.

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Retrouvez "Occaz" sur RMC

- UFA/ Vous-même allez à la rencontre du public avec une émission télévisée !
Parlez-nous un peu d’« Occaz » qu’on peut voir sur RMC découverte (et revoir ?). C’est bien une émission britannique à laquelle vous participez occasionnellement ?
GS/ Je me suis d’abord adressé à Bruce Crampton, qui anime cette émission, parce qu’un de mes clients souhaitait se défaire d’un lance-mines allemand qui l’encombrait dans son jardin ! Finalement, la pièce est parvenue, après neutralisation, en Angleterre, où elle a été remise en état de tir et montrée en action dans une vidéo. Cette émission se veut avant tout de vulgarisation et humoristique, pour faire connaître les armes anciennes au grand public sous un jour plus sympathique, voire ludique.

- UFA/ Les travaux de customisation sont-ils toujours possibles ?
GS/ Vous pensez sans doute aux plaquettes que réalisait un ami graveur ? Malheureusement, son départ en retraite ne me permet plus de « customiser » des plaquettes en aluminium.. Aujourd’hui, je consacre ma réflexion à un projet de support « raisonné » pour douilles de munitions allemandes, qui est bien avancé.

- UFA Vous faites œuvre un peu d’érudit local, par exemple avec une contribution sur un Dornier crashé dans la région en 44 ?
GS/ Effectivement, il m’arrive de publier dans la revue du « Comminges » des articles sur des évènements militaires survenus dans la région, par exemple l’occupation dans une série «  le Comminges en guerre «  », et aussi récemment la révolution royaliste de 1798.

- UFA/ Passons aux bourses aux armes, en tant qu’exposant ? Etiez-vous à Castres le 18 janvier. En tant qu’intermédiaire pour les ventes d’armes de catégorie C ?
GS/ En 2015, j’étais bien présent avec la SIDAM au club de tir St Gaudinois, mais ce fut ma dernière apparition publique.

Les armes du public

- UFA/ Parlons plus précisément de ce rôle d’intermédiaire obligé pour les transactions à distance des particuliers. Certains forumeurs ne sont d’ailleurs pas tendres et émettent l’idée que le Syndicat des armuriers a oeuvré pour cette disposition ? Aujourd‘hui, pouvez-vous nous décrire ce qui va se passer quand on s’adresse à vous ?
GS/ Je ne fais pas payer mes clients habituels, pour les autres, il faut me consulter.

- UFA/ Et au total, combien d’opérations de ce genre depuis la mise en œuvre de la loi, 8 mois plus tard ?
GS/ Environ une demi-douzaine par semaine.

- UFA/ Pour les transactions avec l’étranger, import et export, le volume est important ? De quelles armes va-t-on parler ?
GS/ J’évite soigneusement, trop compliqué, trop de tracas, trop chronophage.

- UFA/ Et les armes de découverte, les « sorties de grenier », comment procédez-vous ? Que demandez-vous au particulier ? Dans quel cas procédez-vous à la destruction ?
GS/ Avant tout, je lui demande sa CNI pour enregistrer l’arme et la régulariser sur mon cahier de police ! Et de fait, je suis toujours le « conservateur » d’armes que j’ai enregistrées voici 20 ans. Je suis un peu la « SPA » des armes. Et il peut donc m’arriver aussi d’abréger les souffrances d’une arme sans valeur laissée en dépôt depuis des années, en prenant des pièces dessus. J’ai récemment indemnisé l’épouse d’un tireur, j’avais vendu l’arme avec une facture libellée en francs ! Mais, à terme, si je ne trouve pas de repreneur, ces armes seront remises aux services de l’État pour destruction.

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J’en vois le bout, de ce Campo-Giro !

- UFA/ Bien sûr, il s’agit que toute arme « émergée » soit régulièrement « localisée » pour les services de l’État,
GS/ Pour les armes de catégorie B, l’idée est d’essayer de les vendre pour les préserver de la destruction et de pouvoir indemniser les propriétaires obligés de s’en dessaisir, sans autorisation valide.

- UFA/ Qui dit registre, dit contrôle par les services de la Préfecture ? La tenue du registre tel qu’il est formaté ne permet pas de rattraper des oublis, je crois ?. Combien de fois avez-vous été contrôlé ?
GS/ Déjà, il faut savoir que, jusqu’en août 2018, l’on devait fournir 2 rapports d’activité annuels, l’un entre le 1er et le 15 janvier, l’autre entre le 1er et le 15 juillet. Et il y a effectivement un contrôle sur place effectué par le service du déminage, plus ou moins fréquent selon la période, l’affaire Merah a par exemple suscité une certaine agitation.

- UFA/ Quels sont les fichiers auxquels vous avez-accès outre le Finiada ? Agrippa , autre ?
GS/ Uniquement le FINIADA

- UFA/ Avez-vous une relation avec le nouveau Service Central des Armes (SCA) ? Et auriez-vous une requête si vous étiez lu par ce service ?
GS/ Non, aucune relation particulière

- UFA/ Alors, pour nos armes du passé, un avenir ?
GS/ Bien sûr, on se battra pour !