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Le Tir National de Versailles : un futur plus qu’incertain !

mercredi 17 juillet 2013, par COUVREUR

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A l’issue d’un long bras de fer témoin de sa résistance opiniâtre à la volonté de récupérer son terrain par son propriétaire l’EPV (Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles), le T.N.V est depuis peu sous la menace imminente d’une ordonnance d’expulsion. Un des plus anciens et un des plus importants clubs de tir de France (plus de 1 500 licenciés) est-il condamné à disparaître sans autre forme de procès, et dans l’indifférence apparente la plus totale de toutes les parties concernées ?

- Le sujet traité en vidéo.

Le tribunal administratif de Versailles, par son jugement N°1306793 en date du 30 juin 2014, à ordonné la fermeture pure et simple et immédiate sous 24 heures du Tir National de Versailles. Comment a-t-on pu en arriver là, alors que le dossier suivait pourtant parfaitement son cours, et semblait devoir laisser toutes les chances à ce grand club historique d’opérer à moyen terme un transfert dans des conditions satisfaisantes ?

Un club prestigieux, un cas d’école et un dossier emblématique

Le TNV (Tir National de Versailles) compte assurément parmi les stands les plus connus de l’Hexagone. C’en est en tout cas l’un des plus anciens et des plus prestigieux, avec ses quelques 137 années d’existence. C’est en 1875 que la ville de Versailles a fait construire un stand municipal de tir à l’emplacement actuel du stand national de tir de Versailles. La cuisante défaite de 1870 et l’épisode sanglant de la Commune y sont sûrement pour quelque chose…

Le 17 août 1876, la municipalité de Versailles décide de fonder une société de tir et de préparation militaire qui prend le titre de « Société Versaillaise de Tir », à qui elle confie son stand municipal. Le 15 novembre 1877, cette société devient une société civile de tir sous le titre de « Le Tir de Versailles ». En 1924, Le Tir de Versailles et la municipalité de Versailles acceptent que le stand municipal de tir soit transformé en stand national de tir. Le Stand National de Tir de Versailles occupera dès lors une superficie de 2,5 hectares, les constructions couvrant 2 250 m2 ! Il sera inauguré en grandes pompes en 1928 par le président de la République de l’époque, Monsieur Gaston Doumergue. En 1931, la société prend le nom de « Tir National de Versailles » pour assurer la gestion du stand. Ses buts statutaires sont le développement du tir sportif. Une tâche dont le TNV s’acquittait fort bien depuis largement plus d’un siècle dans quasiment toutes les disciplines.

Cette vénérable institution plus que centenaire, reconnue d’utilité publique depuis 1974, fait partie des monuments du tir en France depuis de nombreuses années, tant dans le domaine sportif, en rapportant à la France de nombreux titres de champions de tir internationaux, que dans le domaine du tir de loisirs en proposant de nombreuses possibilités aux tireurs de passage à travers de vastes installations de 10 à 300 m. Le site du TNV est d’ailleurs utilisé chaque année pour la tenue de compétitions internationales, nationales et régionales.

Un terrain trop bien placé

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La proximité de la pièce d’eau des suisse du Château de Versailles excite les convoitises !

Depuis deux ans, le TNV cherchait bien pourtant à déménager, solution à laquelle il s’était résolu en contrepartie de certains engagements des pouvoirs publics. Implanté à la sortie de la ville sur le domaine de l’Etablissement public du château de Versailles le long de la N10 - à côté de Pièce d’eau des Suisses -, il s’était en effet retrouvé occupant sans titre depuis que le château n’avait pas renouvelé sa convention d’occupation en juillet 2012. Depuis longtemps en effet, l’Etablissement public cherchait à se débarrasser de ce locataire désormais devenu indésirable pour faire main basse sur les terrains qu’il occupait. La raison officielle invoquée : malgré des travaux d’insonorisation, le stand était jugé trop bruyant [1], incompatible en tout cas avec les oreilles des six millions de visiteurs annuels selon le Château, qui estimait que l’entraînement des tireurs faisait en effet retentir des détonations peu en rapport avec la beauté et le calme des jardins dessinés par André Le Nôtre. « Je crois que chacun a pris conscience qu’il était temps de trouver un nouvel emplacement pour ce club », résumait en substance Catherine Pégard, la présidente actuelle de l’Etablissement public dans un article paru le 25 juin dernier dans « Le Parisien ».

Un dossier juridique complexe, une procédure partie pour durer

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Pas de quoi pourtant inquiéter jusque-là le président du TNV, Claude Schuler. Le dossier, jugé « particulièrement sensible » (sic) par les avocats du Château, était en effet instruit depuis déjà des années, et s’annonçait long et complexe.
Tout d’abord compte tenu du profil du locataire : titulaire d’un bail quasi-emphythéotique, le TNV bénéficiait du double statut protégé d’association sportive et d’une reconnaissance d’utilité publique, justifiée entre autres par le fait que nombre d’administrations (jusqu’au RAID voisin) profitaient de ses installations, sans compter le poids que lui conférait ses 1 500 à 2 000 adhérents. S’y ajoutaient un certain nombres de points propres à compliquer davantage encore la décision des juges administratifs : la Fédération Française de Tir propriétaire du bâti, la parcelle dont la propriété du Château était contestée par cette dernière, et l’origine du financement des bâtiments actuels dont la nature risquait d’influer sur les décisions du tribunal. En pratique, le TNV, s’il n’était pas inexpugnable, avait en théorie des années de procédures devant lui pour préparer sereinement son transfert, au sujet duquel il s’était - bon gré mal gré - fait une raison.

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Locataire des lieux depuis 1875, le TNV offre des installations de tir de 25 à 300 m uniques en Ile-de-France dont profitaient aussi de nombreuses administrations. Son site avait d’ailleurs été préssenti dans l’éventualité des J.O. à Paris.

« Le projet de déménagement est en cours, il y a des réunions régulièrement », expliquait alors en souriant celui qui préside aux destinées du TNV depuis 18 ans. Car le dossier s’annonçait excessivement délicat et complexe. « Pour déplacer une structure de la taille du TNV, il nous faut de la place, et il y a évidemment des règles de sécurité très strictes. Sans compter le financement. [2] Ni la Fédé ni le club n’ont clairement les moyens de trouver une somme pareille », ajoutait Claude Schuler. Sommée aux termes de l’expiration du bail en 2012 de payer une pénalité de 250 € par jour d’occupation illégale, la F.F.Tir avait d’ailleurs déposé un recours afin d’éviter d’avoir à verser ces 90 000 € et plus d’amende annuelle. Soucieuse d’apaiser et de faire avancer les choses, la préfecture des Yvelines avait également entre temps, sur les instances du cabinet du ministre de la Jeunesse et de sports de l’époque [3], accepté de jouer les bons offices. « Nous avons un rôle d’accompagnement et de médiation pour aider la F.F.Tir propriétaire des lieux dans ses démarches », confirmait Jean-Marc Galland, le directeur de cabinet du préfet, favorable au club de tir. Plusieurs sites successifs avaient été pressentis pour la réinstallation du TNV « Les choses risquent quand même de prendre du temps. Nous sommes très bien ici en attendant », concluait alors malicieusement le président Schuler.

Une convention signée en 2005 entre les parties pour aménager le transfert du TNV

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Catherine Pegard, actuelle présidente de l’EPV, aurait-elle réussi à évincer sans coup férir et sans dépenser un centime le TNV là où ses prédécesseurs s’étaient cassé les dents ? Triste titre de gloire en vérité pour le sport et la communauté des tireurs, dont 1 500 risquent de se retrouver à la rue. Son blog.

Par une décision du 3 juin 2004, l’EPV avait autorisé la Fédération Française de Tir à occuper les parcelles cadastrées BX n°22 et BX n°256 situées au lieu-dit « Camp des Mortemets ». Dans le cadre d’une convention signée le 9 mai 2005 avec la Fédération Française de Tir, l’établissement public avait ensuite autorisé celle-ci à occuper ces parcelles jusqu’au 1er juillet 2012, « terme ferme et définitif » selon l’article 2-1 du protocole de cette convention. Le terme de cette autorisation d’occupation avait ensuite été rappelé au président de la Fédération Française de Tir par une lettre en date du 23 novembre 2010 du président de l’établissement public (à l’époque Jean-Jacques Aillagon). A l’échéance, constatant que depuis sept ans rien n’avait entre temps été entrepris ni même amorcé de la part de l’EPV pour aider à la relocalisation du stand, comme il l’avait laissé entendre, la Fédération Française de Tir a refusé de quitter les lieux sans avoir la garantie de réinstallation. Dès lors, les rapports vont se dégrader rapidement, et l’EPV finira par saisir le Tribunal Administratif d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à la fédération de quitter les lieux dans un délai de 24h00 sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, et d’ordonner l’expulsion de cet occupant dans le même délai.

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Contre toute attente et aux termes d’attendus plus que contestables (le TNV et la F.F.Tir se sont évidemment immédiatement pourvues en appel, lequel n’est hélas pas suspensif [4], le tribunal administratif de Versailles vient donc de faire droit à la demande de l’établissement public, rejetant sans explications au fond toutes les conclusions reconventionnelles formulées par la F.F.Tir.
Constatant que la F.F.Tir était un occupant sans titre du domaine public, après avoir écarté tous les moyens invoqués en défense par celle-ci, le Tribunal, qui n’a pas le pouvoir d’accorder à l’occupant sans titre un délai supplémentaire pour quitter les lieux, a enjoint à la Fédé et au stand de libérer immédiatement les parcelles litigieuses (on imagine pourtant aisément ce que représente au plan pratique le déménagement d’un monument comme le TNV !)

Et maintenant ?

La FFTir a publié le communiqué suivant :

Par jugement rendu le 30 juin 2014 sans information préalable de la Fédération Française de Tir et publié dès le lendemain sur son site internet accompagné d’un communiqué de presse, démarche pour le moins inusitée, le Tribunal Administratif de Versailles demande à la Fédération et au club du TNV de libérer dans les 24 heures et sous astreinte quotidienne de 1 000 € notre stand de tir séculaire du TNV, mettant fin à plus de 100 ans d’activités sportives au camp des Mortemets.

Par cette décision, rendue avec une rare célérité et sans tenir aucun compte des conséquences sur la vie sportive et l’emploi local, direct ou indirect, les 22 000 tireurs sportifs de la Ligue Régionale d’Ile de France seront privés d’installations sportives historiques de premier plan sans équivalent sur le territoire national ; cette décision compromet la continuité même de la mission
de service public confiée à la Fédération Française de Tir qui, rappelons-le, s’est ainsi vue confier par le ministère des Sports depuis sa création il y a plus de 40 ans, l’organisation et le développement du tir sportif, ce qu’elle fait en concertation avec le Comité National Olympique et Sportif Français et lui a permis de donner à la France deux médailles aux Jeux Olympiques de Londres.

La Fédération Française de Tir a donc interjeté appel de cette décision, d’autant qu’elle est victime de l’attitude totalement négative de l’établissement Public du Château de Versailles qui ignore délibérément l’esprit de la convention d’occupation signée en 2005 entre les Parties dans le cadre du projet « Paris, Ville Olympique » et refuse de respecter son obligation de
réinstallation du TNV sur de nouvelles installations.

La Fédération Française de Tir demande également au Juge du second degré d’infirmer la décision rendue par le Juge Administratif qui n’a pas respecté les principes jurisprudentiels de la Cour Européenne des Droits de l’Homme accordant à l’occupant du Domaine Public une protection contre la précarité et l’insécurité de sa situation face à l’Administration.

Les tireurs sont des sportifs comme les autres qui doivent être défendus.

Philippe Crochard

Président de la FFTir

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Le Paris Western Show qui se déroule tous les ans au TNV serait lui aussi condamné à disparaitre !
Le diaporama.


- Le tir sportif.com,
- Pétition citoyenne,


- Voir aussi : Corse : les tireurs de Cipara expulsés par un promoteur, trouvent refuge et remontent un stand.


[1On attend toujours l’étude technique étayant cette thèse, laquelle figure pourtant dans les attendus du jugement.

[2Entre 20 et 30 millions d’euros au bas mot pour le nouveau terrain plus les bâtiments et installations de tir

[3Par l’entremise du Directeur de Cabinet adjoint du ministre David Douillet, Monsieur Pierre Messerlin, qui a malheureusement quitté son poste après les élections présidentielles de 2012.

[4Alors qu’un criminel bénéficie aujourd’hui d’un second jugement en appel avant de voir s’appliquer la peine à laquelle il a été condamné en première instance aux Assises, un club de tir locataire depuis plus de 100 ans et expulsé par un simple Tribunal Administratif n’a pas cette chance... Cherchez l’erreur !