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On trouve fréquemment devant les tribunaux correctionnels, des collectionneurs un peu rêveurs : au milieu de leurs vieux “tromblons", ils possédaient des armes fabriquées il y a longtemps, mais encore classées dans des catégories règlementées.
Plusieurs raisons à ce phénomène :
– Les “services" doivent montrer leur efficacité et faire “monter" leurs statistiques. Or, rien de plus facile que de perquisitionner un vieux “pépé" qui possède encore l’antique Lebel de son propre grand-père que d’aller dans les fameux “quartiers," sauf à déplacer des cohortes de CRS.
– La règlementation est devenue tellement complexe que parfois, dans sa grande naïveté, le collectionneur possède des armes interdites depuis toujours, sans qu’il n’en ait eu la moindre conscience.
– Autour de la date charnière de 1870, la distinction entre ce qui est libre ou interdit n’est pas toujours évidente, même pour les spécialistes.
Plus royaliste que le roi !
Les magistrats font appel aux experts judiciaires pour éclairer leur jugement. A noter que dans ce cas, l’expert ne doit pas “dire le droit" mais doit répondre à la mission confiée. Son rapport d’expertise doit aussi éclairer le tribunal.
Au cours de mes activités d’expertise, il vient de m’être donné de découvrir une expertise ahurissante qui ne pouvait qu’« enfoncer » un malheureux collectionneur.

J’ai trouvé quelques bizarreries de classement, dont une canne fusil en 1re catégorie, des armes de collection antérieures à 1870 classées en 4e catégorie et des armes neutralisées qui bien que portant le poinçon de neutralisation de St Etienne, sont classées en 1re catégorie.
Mais en dehors de ces erreurs manifestes il y a, dans cette expertise, un esprit de “ségrégation négative" à l’égard des détenteurs d’armes. Par exemple un revolver Mle 1873 est classé en 4e catégorie. Or, tout le monde sait que c’est la première arme qui a été déclassée en 1979, année du patrimoine mondial. [1] Pour certains experts judiciaires, ne sont déclassés que les modèles 1873 et 1874 sortis de manufacture et conformes au modèle standard. Il suffit que le revolver soit juste marqué de St-Etienne ou que bien qu’étant parfaitement conforme au modèle règlementaire, il ait une pédale latérale pour l’ouverture de la plaque de recouvrement, pour qu’ils le considèrent comme une arme de défense.

Sans faire de la sémantique sur la langue française, il est évident que l’arrêté [2] qui classe l’arme en 8e catégorie précise juste le modèle et le calibre sans rien d‘autre. Au même titre que les Bulldog “français ou belges" avec une énumération de calibre. C’est un classement du modèle du type et non de la “fabrique" sauf quand la liste le précise. Il me paraît erroné de s’en tenir à une lecture aussi restrictive. Je suis d’ailleurs bien placé pour le dire, puisque que c’est moi qui en 1980, alors que le Contrôleur Général Collet était responsable de la règlementation, ai initié le déclassement de ces modèles.
Eclairer la justice
S’il est vrai que le rôle de base de l’expert est de répondre à la lettre à la mission confiée par la justice, il se doit également de l’éclairer : le juge ne connaît les armes qu’à travers son expert. En présence de fusils de guerre à verrou dont les modèles ont une centaine d’années, bien que ce soit encore en France des armes de guerre, il est de bon sens de rappeler qu’ils sont libres en Belgique.
De même que pour des armes neutralisées ailleurs qu’à St-Etienne ou avec juste la goupille [ du temps du décret de 1973, la neutralisation s’effectuait (…)" id="nh3">3] il serait bien d’indiquer qu’elles sont “inaptes au tir de toutes munitions."
Bien que juridiquement elles soient classées “armes de guerre," cette attitude éviterait au juge de voir son détenteur comme possesseur d’une arme ultra dangereuse comme une Kalachnikov qui tue et de l’assimiler aux malfaiteurs qui l’utilisent. Et le magistrat, fort de cet éclairage, pourrait prendre sa décision en toute sagesse !
Ayatollah de l’arme
On peut se demander pourquoi certains experts se trompent dans le mauvais sens, ou lisent de façon réductrice les textes qui composent la règlementation des armes. L’explication qui saute à l’esprit est que cette partialité à charge est destinée à se faire bien voir de l’administration. En montrant ainsi son zèle efficace, on espère récolter plus d’expertises à faire !
Il s’avère que c’est un mauvais calcul. L’administration n’est pas dupe d’un tel comportement : il court dans les couloirs des tribunaux et des Ministères le “qualificatif" d’Ayatollah de l’arme, ce qui veut tout dire. Heureusement pour tous, le nombre de “Ayatollah" est infime. La quasi totalité des experts judiciaires connaît bien son “art" et applique les 3 règles de déontologie définies par la CNCEJ [4] : intégrité, impartialité, indépendance.
Suite au prochain numéro ou nous traiterons d’épaves “soudées" par l’oxydation et classées dans la même catégorie qu’une Kalachnikov qui tue !