La collection est une passion et sa finalité est d’embellir la vie de ceux qui la pratiquent et de leur apporter un apaisement au milieu des tracas quotidiens.
Pour Marcel, il en allait tout autrement : ce modeste bonheur lui était refusé : tout nouvel achat était avant tout un sujet de stress, parce qu’il lui fallait entreprendre un long cheminement qui lui permettrait d’introduire chez lui son nouveau trésor sans que sa femme remarque son arrivée. Chaque retour de bourse était gâché par la nécessité humiliante de demander à un ami de bien vouloir accueillir quelques semaines à son domicile sa dernière acquisition, afin qu’il puisse l’infiltrer à son domicile au moment le mieux adapté pour échapper aux foudres de son dragon domestique.

Après une vie de brimades, le malheureux Marcel rendit l’âme, emporté par un incident cardiaque, peu avant son soixante douzième anniversaire. La veuve, qui ne savait pas conduire, dut revendre la jolie R.25 très bien équipée, que le couple avait achetée quelques mois plus tôt et la décote de cette voiture qui avait pourtant à peine roulé, lui valut de perdre une somme rondelette.
Elle s’inquiéta ensuite de ce qu’elle appelait « son fourbi », comprenez par là les armes de la collection que Marcel avait constituée malgré elle, au prix de tant de peines, de tant de travail et de tant de ruse. Elle demanda à un armurier ami de son mari de les négocier au mieux. Ce dernier était un homme respectable, qui mit un point d’honneur à revendre au mieux la collection de son ami sans en tirer le moindre bénéfice. Au cours des mois suivants il apporta à plusieurs reprises plusieurs enveloppes bien garnies de billets, qui permirent à la veuve d’assurer sa subsistance. Après la dernière vente, alors que l’armurier lui apportait l’ultime enveloppe, ce dernier lui communiqua le total des ventes qu’il avait effectuées à son bénéfice : la somme était assez substantielle pour que la mégère en vienne à admettre que son défunt mari avait finalement dépensé son argent à bon escient et que ce placement en métal bronzé s’était sans nul doute révélé d’un rendement bien supérieur à tout ce qu’auraient pu rapporter les produits financiers proposés par son banquier. Elle eut alors ce commentaire étonnant : « finalement il n’a pas été si bête que ça avec ses armes » !
Hommage posthume bien tardif de la part de celle qui ne parvenait même pas à imaginer qu’elle avait gâché la vie de son mari par sa stupidité bornée, en refusant d’accepter son innocente passion !
Nous espérons que les « brimés » trouveront dans cette petite histoire le courage de continuer ou de résister !