Une Jurisprudence récente face aux douanes
vendredi 2 octobre 2015, par
La Cour d’Appel d’Amiens vient de rendre un décision [1] qui fait jurisprudence et renforce partiellement une décision précédente.
Les faits : un collectionneur détient des armes de différentes catégories dont une partie illégalement. Il est poursuivi au pénal pour infraction à la législation sur les armes et par la douane sur la base des articles 215 et 215 bis et défendu par Maître Mullot.
Au pénal, il sera condamné à un mois avec sursis et non inscription au casier judiciaire B2, ce qui est un bon résultat au vue de ce qui était détenu (des dizaines d’armes dont certaine automatiques).
Pour le plaisir, je cite l’anecdote : il était aussi poursuivi pour la détention de dizaines de grenades actives placées dans un ou des fûts de 200 litres remplis de gasoïl pour les "neutraliser". La réponse à la question du Procureur lui demandant ce qu’il faisait avec cela fût "ben, j’habite dans la Somme sur une des lignes de front de 14-18, et chaque fois que je travaille mon jardin il en remonte à la surface. Et aussi dans mon bois derrière la maison je les ramasse pour que mes petits enfants ne les trouvent pas" ; il lui a été répondu qu’il n’avait qu’à appeler le déminage ce à quoi il a rétorqué qu’il l’avait déjà fait, que personne ne venait, et que si Mr le Procureur pouvait lui indiquer une solution......".
En matière douanière, la Douane demande une amende importante, le prévenu ne pouvant fournir de justificatifs d’origine comme l’exigent les articles 215 et 215 bis du Code des Douanes.
La Douane saisit tout, avec les méthodes "abusives ou anormales" habituelles (regroupement de toutes les cartouches saisies en une seule ligne de PV sous l’appellation 460 kg de munitions), (erreurs de décomptes sur la quantité de matériel saisi) qui ne permettent pas de se défendre et de démontrer qu’elles sont ou détenues légalement ou d’origine justifiable.
Absence de toute demande sur l’affectation de ces matériels à un "usage personnel exclusif".
L’Arrêt diminuera l’amende douanière quasiment de moitié.
Ce résultat a pour conséquences la confirmation ou la reconnaissance de solutions jurisprudentielles.
Sur les catégories :
Sur les armes saisies, suite au déclassement opéré par le texte de 2013, celles qui sont de catégorie C ou D ne sont pas soumises aux articles 215 et 215 bis ce qu’indique l’Arrêt :
"La Cour constate que les scellés..................... sont désormais classés en catégorie C-1-b et ne sont dés lors plus susceptibles d’être soumis à l’amende douanière, sous réserve que les armes correspondantes soient destinées à l’usage personnel exclusif".
Sur les éléments d’armes saisis la Cour étend le dispositif :
"S’agissant des scellés ................ la Cour constate que les armes et éléments d’armes leur correspondant sont désormais classés en catégorie C-1-b et C-2 et ne sont dés lors plus susceptibles d’être soumis à l’amende douanière, sous réserve que les armes correspondantes soient destinées à l’usage personnel exclusif."
Donc il est confirmé que toute les catégories C et D peuvent échapper à la Douane sous réserve de démontrer l’usage personnel exclusif, c’est déjà un premier pas.
Sur l’usage personnel exclusif : [2]
L’usage personnel exclusif dans l’arrêt n’est pas détaillé, les quantités ne sont pas prises en compte, il semble que les magistrats aient fait un grand pas en avant et rejoint la même notion générale qui concerne la licence de Tir qui vaut titre de transport légitime.
En effet, pour exposer l’usage personnel exclusif il est simplement mentionné dans l’arrêt : "Mr X justifie de son appartenance à la Fédération Française de Tir et être titulaire d’un permis de chasser valide. Dés lors les armes correspondantes aux scellés ......................... ne sont pas susceptibles d’être soumises à l’amende douanière."
Donc la licence de tir ou le permis de chasse valent titre prouvant l’usage personnel exclusif pour les matériels de catégorie C et D, armes et éléments d’armes et ce sans limitation de quantité, ou de valeur.
Il y avait 18 armes dans ce cas dans le dossier !!!
Je rappelle que c’est un Arrêt de Cour d’Appel, qui possède donc un certain poids. (c’est le deuxième pas)
Sur les scellés de munitions :
Les douaniers ont regroupé les munitions saisies en VRAC, sans fournir aucune information. La Douane demandait 10 020 euros pour les 126 kg de munitions au début évalués à 460 kg par erreur.
La Cour a refusé de faire un chèque en blanc aux douaniers et rejeté la demande au motif que : "S’agissant des munitions, saisies en vrac pour un poids de 126 kg de munitions et estimées par les services des douanes à la valeur de 10020 euros, les munitions n’ayant pas été triées, leurs catégories déterminées et sans permettre à la Cour de déterminer les munitions rechargées par monsieur X, lequel pouvait les détenir en toute légalité, la Cour estime qu’elles ne sont pas susceptibles d’être évaluées et de déterminer l’assiette et en conséquence le montant de l’amende douanière."
Pour les munitions manufacturées, c’est un grand changement. Deux obligations sont désormais à la charge de la Douane :
Trier les munitions
Classer les munitions en fonction des catégories.
Le tri oblige à séparer les munitions de catégorie C et D qui ne sont pas taxables.
Pour les munitions rechargées, elles apparaissent pour la première fois à deux titres : primo on ne peut demander un justificatif d’origine pour des objets que l’on manufacture soi-même, secundo cela concerne toutes les catégories puisqu’en matière douanière la catégorie ne fait que soumettre l’objet à l’obligation de justifier l’origine et ne concerne pas le droit de les détenir ou pas qui lui, est purement pénal.
Cet Arrêt de la Cour d’Appel d’Amiens est un grand pas vers la protection de nos biens.
Il entraîne à mon avis trois conséquences très importantes :
Les armes, éléments d’armes, munitions, de catégorie C et D détenues par un chasseur ou un tireur sportif sont désormais à l’abri de la Douane.
Les munitions rechargées, sans limitation de quantité ou de catégorie sont désormais à l’abri de la Douane.
- Maître Philippe Mullot
- était membre du Conseil d’Administration de l’UFA. Il nous a quitté le 17 août 2020.
Vis à vis des préfectures qui ont déclenché une campagne d’intimidation illégale (soyons réalistes) vis à vis des tireurs en précisant à certains "vous avez trop d’armes !!!!! Il faudrait diminuer la quantité d’armes que vous détenez". Car en démontrant que l’usage personnel exclusif est une notion qui ne dépend pas de la quantité d’armes détenues, cela confirme et appuie l’absence de toute limite dans les textes concernant les quantités détenues (mais comme dirait Kipling, c’est une autre histoire), cette notion est la grande sœur de la "détention paisible" et du droit de propriété.
Les armes de plus de 100 ans ne sont pas classées dans le chapitre 93 et sont exclues de la justification douanière. Cours de Cassation du 3 mai 2012.
Voir rubrique sur les amateurs d’armes et les douanes. |
[1] décision du 23 septembre 2015
[2] A noter que sont exclus les fusils et carabines de chasse ainsi que des projectiles et munitions de chasse des 1°, 7° et 8° de la catégorie C et du 1° de la catégorie D, pour lesquels les détenteurs et transporteurs justifient qu’ils sont exclusivement affectés à leur usage personnel. Extrait de l’arrêté du 11 décembre 2001 sur l’application de l’art 215 du Code des Douanes.